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de son indignation et de ses sarcasmes. Accordons cependant aux adversaires de Dupleix qu’il poussa trop loin l’application de ce système. Peut-être aurait-il pu éviter de prendre personnellement les titres de nabab, de bahadour, de kamanssoubdar, de faire frapper des médailles à sa propre effigie, d’élever une colonne à son honneur, et surtout de jeter les fondemens d’une ville sous le nom de Dupleix-Fatahabad, la victoire de Dupleix.

Une faveur plus sérieuse couronna tous ses succès : Mursapha déclara Dupleix lui-même nabab de Karnatik ; Chundasaëb, revêtu de cette nababie, ne fut plus alors que le délégué du gouverneur, en d’autres termes, le vassal direct de la France. Ce résultat, quoique brillant, n’était ni sans exagération ni sans danger : il paraissait difficile que l’Angleterre et la Hollande consentissent à voir leurs comptoirs dépendre de la suzeraineté immédiate d’un Français ; mais Mursapha ne voulut pas mettre de bornes à sa reconnaissance, il appela désormais Dupleix son frère, et fit avec lui un pacte de fraternité. Ce n’était pas, comme on pourrait le croire, un acte allégorique et sentimental, mais un traité en bonne forme, que nous avons sous les yeux. Si Dupleix y gagna des emplois, des distinctions et un grand accroissement de fortune, la France y gagna le triangle méridional de l’Inde. La mort de Mursapha suspendit ces progrès. Vainqueur de ses ennemis, maître de la vice-royauté du Dekhan, aussi puissant que son aïeul Nizam-el-Molouck, Mursapha périt dans une émeute. Il venait de la dompter ; plongeant les pieds de son éléphant dans le sang des rebelles, le soubadar jouissait de sa vengeance ; déjà il tournait la tête vers ses timbaliers et ses musiciens pour leur donner l’ordre de sonner la victoire, lorsqu’une flèche tirée par un Afghan de ses propres troupes l’atteignit à l’œil et lui traversa la cervelle.

Cet évènement semblait funeste à l’influence française ; elle s’y retrempa pourtant avec une nouvelle force. Après la mort de Mursapha, toute l’armée indienne supplia Bussy de nommer un souverain ; Bussy en référa à Dupleix, qui, du fond de Pondichéry, ordonna l’élection de Salabut, oncle de Mursapha. Ce prince avait laissé un fils, mais un enfant ne convenait guère aux périls de la situation. Par raison d’état, Dupleix l’écarta du trône ; cependant il exigea du nouveau vice-roi que l’orphelin serait non-seulement épargné, mais honoré : l’ascendant du gouverneur français imposait alors aux dynasties de l’Asie le sacrifice de leurs cruelles traditions de famille. La gratitude du nouveau vice-roi égala celle de son prédécesseur, il investit Bussy et Dupleix de titres plus pompeux que tous ceux dont ils étaient déjà décorés ; il