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pour Nazyr. Il ne posa pas la question avec cette simplicité un peu nue ; il soutint toujours que Mursapha était seul légitime, qu’il fondait ses droits sur le testament de son aïeul Nizam, qui avait exclu Nazyr. Celui-ci, de son côté, attaquait ce testament, dont il contestait même l’existence, et comme la légitimité de ces vice-rois ne dérivait en droit que d’un firman du Grand-Mogol, comme chacun des compétiteurs en avait obtenu un, probablement à prix d’argent, il était assez difficile de prononcer entre eux. Au fond, Dupleix s’attachait peu à leur légitimité, il voyait dans Nazyr un soubadar anglais, dans Anaverdykan un nabab anglais ; il voulait susciter contre eux un soubadar et un nabab français. Il était persuadé que les Anglais ne laisseraient pas échapper cette occasion d’intervenir puissamment dans les affaires intérieures des princes indous, et qu’ils prendraient parti dans leurs querelles pour obtenir des concessions de territoire, en échange des soldats qu’ils leur auraient prêtés. Dans une telle prévision, il se mit en mesure d’appliquer immédiatement cette politique, et résolut de prendre l’initiative, tant il craignait d’être devancé par les Anglais. Sa crainte était prématurée ; l’Angleterre ne pensait pas encore à la conquête de l’Inde. Absorbée par un commerce routinier, elle n’avait pas songé à profiter des dissentimens qui venaient d’éclater entre les principaux nababs ; elle avait même poussé l’insouciance ou la circonspection jusqu’à faire retourner en Europe, après la levée du siége de Pondichéry, la flotte de l’amiral Boscawen. À cette époque (1748 à 1750), elle n’avait pas encore compris le système qui lui a donné et qui lui assure l’empire de l’Asie. Elle ne s’était pas inoculé ce glorieux plagiat ; elle n’en avait pas même découvert le principe élémentaire. Cette pensée était née dans une tête française ; un cœur français l’avait nourrie. Les marchands anglais, dans l’Inde, n’avaient encore ni l’intelligence ni le goût de la conquête ; aussi, malgré la prévoyance de Dupleix, qui s’attendait à les combattre, ils ne donnèrent aux chefs indiens de leur parti que des secours précaires et insuffisans. Toutefois, ils soutenaient le vieil Anaverdykan, et c’est en prêtant appui à ce nabab qu’ils créaient un véritable danger pour nos intérêts dans l’Inde. Le choix du soubadar ou vice-roi du Dekhan ne touchait la France que d’une manière indirecte et éloignée, mais il lui importait beaucoup de n’avoir pas contre elle le gouverneur ou nabab du Karnatik, province située à l’extrémité de la presqu’île où se trouvait Pondichéry, chef-lieu de tous les comptoirs français. Or, comme le soubadar du Dekhan est le suzerain du nabab de Karnatik, il était essentiel que ce vice-roi fût notre protégé et même notre