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cet intérêt public à beaucoup d’égards ; cependant il ne faut pas les lire sans quelque défiance. Les faits y sont souvent présentés sous un faux jour ; plus souvent encore, nous avons pu nous en convaincre, les pièces ne sont pas exactement rapportées. Mais le courage et le malheur ne perdent jamais leurs droits un penchant honorable range toujours le cœur humain du côté de l’infortune. Dupleix fut soupçonné de jalousie et de haine. Nul doute qu’il n’ait cru La Bourdonnais coupable de concussion et de faiblesse ; nul doute qu’il ne l’ait cru traître à la France ; sa conviction à cet égard était sincère et profonde, et il ne faut pas oublier d’ailleurs qu’agissant en vertu d’ordres secrets, Dupleix ne pouvait s’expliquer clairement. Incriminé, à son tour, par La Bourdonnais, il ne se défendit pas, ou n’essaya qu’une défense incomplète sous le nom de sa famille. Soutenu par la cour, qui le décora à cette occasion des cordons de Saint-Michel et de Saint-Louis, il devint facilement suspect à l’opinion. Dans les deux rivaux, l’un enchaîné, l’autre triomphant, on ne vit plus qu’un persécuteur et une victime. Malgré l’expiation que Dupleix accomplit plus tard, cette impression dure encore. Il était temps d’instruire cette cause ; nous l’avons essayé. La Bourdonnais était un marin expérimenté et hardi, un administrateur habile, un savant ingénieur ; mais il ne fut point supérieur, ni même égal, à son adversaire. Il eut en sa faveur le parti philosophique ; il eut aussi la poésie, de toutes les protections la plus sûre et la plus constante. Elle nous l’a montré, dans cette allée de lataniers que nous connaissons si bien, franchissant le seuil des deux amans, s’asseyant à leurs côtés, partageant leur repas avec une popularité simple et humaine, charmé de ne trouver que des cœurs d’or dans cette cabane dont le souvenir ne périra point, tant que vivront dans le monde civilisé l’intelligence et la grace de notre idiome. Dupleix n’eut point un Bernardin de Saint-Pierre pour consacrer sa mémoire ; le nom de La Bourdonnais est seul entouré de ce doux prestige ; mais, en lui tenant compte d’une si heureuse fortune, il ne faut pas sacrifier la justice à l’attendrissement. Dupleix fut malheureux, La Bourdonnais plus encore. De la supériorité du malheur il ne faut pas conclure à la supériorité du mérite. Les historiens anglais ont exagéré celui de La Bourdonnais pour déprécier Dupleix ; nos écrivains les ont copiés, et c’est un tort qu’ils ont souvent. Il y a entre ces deux hommes la distance du talent au génie.

Maintenant laissons la pastorale, et retournons à l’histoire. Sept jours après le départ de La Bourdonnais, Dupleix fit rendre par le conseil de