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quand un gouvernement pusillanime sacrifia l’Inde à l’Angleterre. Ce tableau est triste, toutefois nous croyons nécessaire de le présenter ; il ne peut pas blesser l’honneur national ; il n’atteint pas même à l’honneur d’un siècle qui commença à Louis XIV et finit à Napoléon. La France est hors de cause ; mais, puisqu’on lui raconte sa gloire, il faut aussi lui dire ses défaillances et ses erreurs.


I

L’an 1664, Louis XIV, inspiré par Colbert, fonda les deux compagnies des Indes orientale et occidentale sur les ruines de quelques sociétés éphémères qui, pendant les règnes précédens, n’avaient pu se soutenir. Les privilèges les plus étendus furent attachés à l’établissement nouveau. Non-seulement le roi l’encouragea par ses bienfaits en lui donnant des vaisseaux et en composant son premier fonds d’une avance de huit millions de francs ; il accorda aux étrangers qui prendraient pour 20,000 livres d’actions la qualité de Français, même sans lettres de naturalisation, et, ce qui était plus décisif encore, il déclara que ses sujets de la plus haute naissance ne dérogeraient pas en entrant dans la compagnie. Bien plus, il offrit à leur zèle la promesse toute puissante de sa faveur, et, pour ne laisser aucun doute sur ses intentions, il voulut assister lui-même à la première assemblée des actionnaires. Un élan général répondit à l’appel du roi ; les personnes de la cour prirent des actions pour des sommes considérables. Au reste, le roi secondait une tendance alors naturelle à la noblesse, et qui ne changea de direction que plus tard, dans l’oisiveté agitée de la vie de Versailles. Depuis la découverte de l’Amérique, dans tout le cours du XVIe siècle, l’aristocratie française avait fait preuve d’un goût très vif pour les entreprises du commerce et les aventures de la navigation. Sans y prendre souvent une part personnelle, elle s’en était montrée l’instigatrice habile, dévouée et persévérante. Les exemples en sont nombreux. Contentons-nous de rappeler que la découverte de la baie de Rio-Janeiro est due à des navigateurs envoyés par l’amiral Coligny. Le caractère de cet homme illustre semble appartenir aux temps modernes. Plein d’une activité pratique égarée dans les guerres civiles, mais naturellement dirigée vers les idées utiles et les vrais besoins du pays, Coligny s’était fortement préoccupé de la régénération de la France par le mouvement colonisateur, maritime et commercial. Les femmes elles-mêmes n’étaient pas inaccessibles à cette impulsion. Une dame d’honneur de la reine