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comme pour les individus, il n’y a pas de moment plus heureux, de phase plus attachante que le passage de la maladie à la convalescence ; intervalle trop court où, semblable au corps physique, le corps social, bouleversé par les révolutions, accablé par la langueur qui en est la suite, retrouve enfin, dans une atmosphère épurée, la jeunesse, la santé et la force. C’est alors qu’une commune espérance rapproche les esprits les plus divisés ; c’est alors qu’on ne veut rien que d’honorable et de bon. Une nation entière prend le caractère et la physionomie d’un honnête homme. Elle ne sépare pas l’ordre de la dignité ; elle les croit et les maintient solidaires. Les desseins prudens concourent avec les belles actions ; la sagesse devient généreuse et la gloire raisonnable. Ainsi éclatèrent les premières années du gouvernement réel de Louis XIV après les troubles de la Fronde, après les corruptions de Mazarin. Tel fut surtout le consulat qui succéda à des agitations bien autrement profondes, à une dissolution bien autrement avancée ; temps héroïque, qu’un historien éminent vient de retracer avec le calme de l’impartialité, la lucidité de l’expérience et la rapidité de la victoire.

On peut se proposer une autre tâche moins douce, mais aussi utile ; on peut mettre sous les yeux du pays une de ces époques honteuses où la faiblesse a remplacé l’énergie, où le besoin des jouissances matérielles a étouffé tous les instincts désintéressés, enchaîné tous les élans magnanimes, éteint toutes les nobles flammes. Quand les nations vaincues cèdent aux trahisons de la fortune, on ne saurait leur faire un tort de ce qui n’est qu’un malheur ; mais il faut, du moins, qu’elles aient la conscience de ce malheur extrême ; il faut qu’elles y voient non une des chances ordinaires de la vie, mais un de ses plus cruels accidens ; il faut qu’elles s’y résignent sans les accepter ; il faut surtout qu’une fierté légitime ne soit jamais traitée de susceptibilité ridicule et surannée. Lorsque, au contraire, on élève l’abaissement public à la hauteur d’une théorie, que rien de ce qui est grand n’est plus ni compris ni estimé, qu’on en a perdu jusqu’à la saveur, que, par un sentiment analogue à cet état de l’ame appelé par l’église l’endurcissement du péché, on se repose dans sa déchéance comme dans une situation saine, comme dans un port commode et naturel, il n’y a plus de bornes aux sacrifices, ils ne coûtent plus même un regret ; on n’en attend plus l’heure, on la devance ; on va jusqu’à se faire une vertu de cet indigne empressement. Alors des possessions lointaines, des comptoirs, des colonies sont offerts en holocauste, non pas même à un principe, mais à je ne sais quelles convenances transitoires, souvent à des craintes prématurées et puériles. Telle fut la France au XVIIIe siècle,