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— M. Charles Labitte vient de rendre aux amis des lettres le cours de poésie latine dont l’interruption momentanée paraissait si regrettable. Dans un discours d’ouverture très spirituellement écrit et qui a été vivement goûté, M. Labitte a traité de l’imitation en littérature ; il s’est attaché à en marquer tout ensemble le bon usage et les périls, ne s’arrêtant pas à de vaines généralités, mais pénétrant au cœur même des faits littéraires, et appelant à son secours l’histoire entière de l’esprit humain, particulièrement celle de la littérature latine dans ses rapports avec la nôtre. Il y a ici un problème à résoudre d’une difficulté et d’une délicatesse infinies : c’est de concilier le culte assidu et passionné des modèles avec la spontanéité de l’inspiration, c’est de donner à l’imagination tout à la fois un aiguillon et un frein ; en un mot, c’est de régler l’originalité sans l’étouffer. Ce problème, le XVIIe siècle l’a résolu. Nul n’a plus imité, nul n’a été plus original. Les plus libres génies de cette grande époque se sont formés à l’école de l’antiquité. Corneille s’inspirait de Sénèque et de Lucain, et il écrivait Horace et Cinna avant de créer Rodogune. La Fontaine se plaçait lui-même au-dessus de Phèdre, par pure bêtise, il est vrai, si l’on en croit Fontenelle. Molière enfin, le plus vigoureux, le plus inventif esprit qui fût jamais, ne se bornait pas à lire Plaute, et savait copier avec génie l’Aululaire et l’Amphitryon. Sans développer ces rapprochemens que M. Labitte a su rajeunir par les traits d’une érudition piquante, et que nous risquerions de compromettre en nous fiant à d’imparfaits souvenirs, nous féliciterons l’habile professeur d’avoir apporté dans sa chaire toutes les fines et solides qualités qui le distinguent comme critique et comme écrivain : une instruction étendue et variée, un style où des traits vifs et brillans n’effacent pas la trace heureuse d’une école sévère, en un mot, beaucoup d’érudition mise au service de beaucoup d’esprit.

— Un membre distingué de l’Académie des Inscriptions, M. Édouard Laboulaye, vient de publier, sous le titre d’Essai sur les Lois criminelles des Romains, un livre savant et judicieux qui mérite de prendre place à côté des travaux appréciés du même auteur sur l’Histoire de la propriété en Occident, et sur la Condition civile et politique des Femmes depuis les Romains. Le nouvel ouvrage de M. Laboulaye est divisé en trois livres : les deux premiers comprennent l’exposé des lois judiciaires relatives à la responsabilité des magistrats jusqu’au règne d’Auguste ; le troisième traite de la puissance du prince et de l’ordre des procédures ouvertes devant lui, depuis le commencement de l’empire jusqu’à Adrien. L’histoire du droit n’a pas seule à profiter des excellentes recherches de M. Laboulaye : l’ensemble de la politique romaine s’en trouve vivement éclairé en bien des points. C’est une méthode propre à l’auteur de porter la clarté et l’ordre dans les plus difficiles matières, et de marquer nettement les rapports des lois avec les institutions politiques : ici M. Laboulaye a trouvé une occasion heureuse d’appliquer au système criminel des Romains, si mal connu encore des savans et des jurisconsultes, ses qualités de juge sagace et éclairé, ses procédés d’écrivain sobre et ferme. Les vues souvent élevées, l’entente politique que montre l’auteur, ajoutent encore à la valeur scientifique de ce remarquable travail, qui se rangera désormais parmi les meilleurs travaux de l’école historique.