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dans la bande joyeuse ; mais le sien, mais son Jacques manquait. — Deux semaines plus tard, la légère Annette sortait de l’église tout ennuptiée, tandis que de la maisonnette attristée de Marthe s’en allait un conscrit, la larme à l’œil, le sac sur le dos, qui disait d’un air touchant à sa fiancée, toute chagrine et toute baignée de pleurs : « On peut revenir de la guerre ; attends-moi à l’autel. »

C’est ainsi que la première pause s’achève : dans les débuts de la vie, la jeunesse s’arrête toujours en compagnie de l’espérance.

Quand la scène recommence, on est en mai, et le poète vous fait d’abord sentir tous les frais arômes de la saison, tout le joyeux entrain de la renaissance printanière. Seule une douce voix se plaint ; elle s’adresse aux hirondelles qui reviennent chercher à la fenêtre leur nid coutumier : ces hirondelles sont deux aussi ; mais, du moins, on ne les a pas séparées. Et Marthe répète ces vers qui ont tant de grace dans l’original :

« Que soune luzentos et poulîdos !
« An toutjour al col lou ruban
« Que Jàques y’estaquèt per ma fèsto, arunan,
« Quand begnon peluca dins nostros mas junîdos
« Lous mousquils d’or que caouzissian. »

Qu’elles sont luisantes et jolies !
Elles ont toujours au cou le ruban
Que Jacques y attacha pour ma fête, l’an passé,
Quand elles venaient becqueter dans nos mains unies
Les moucherons d’or que nous choisissions.

Puis elle demande à ces hirondelles aimées de Jacques de ne pas la quitter elle a trop besoin de parler de lui ! Cependant on n’avait plus de nouvelles du jeune conscrit ; Jacques n’écrivait pas, et Marthe languissante dépérissait. Son vieil oncle était désolé. Tout à coup une idée, un projet vient à l’esprit de la jeune fille : elle est courageuse, elle l’exécutera. Et voilà Marthe qui travaille sans relâche : elle s’est faite marchande, et tout le village à l’envi fréquente son humble boutique. La mélancolique enfant vit maintenant pour un autre amour, l’amour de l’argent. Déjà son épargne grossissait, quand l’oncle meurt. À ce nouveau coup, elle ne sait pas résister plus long-temps. Bientôt, aux yeux du hameau surpris, Marthe vend ce qu’elle possède : meubles, comptoir, et la maisonnette aussi, tout change de maître. Elle ne garde que sa petite croix d’or et ce corsage rose à petits bouquets bleus que Jacques aimait tant à voir sur elle. Marthe, son or à la main, quitte la cabane d’un pied leste ; elle court, elle court, et ne fait qu’effleurer le chemin. C’est chez le vieux curé qu’entre la jolie fillette, et, se jetant à genoux, elle lui dit : « Je vous apporte tout ce que j’ai, maintenant vous pouvez écrire. Rachetez sa liberté ; mais ne dites pas qui le sauve : il le devinera assez ! Moi, je suis forte, je travaillerai pour vivre. »