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gloire. Maintenant qu’il ne fait plus d’odes politiques, ce qui était trop français, et qu’il ne parle plus autant de sa personne, ce qui était trop gascon, il nous semble avoir trouvé sa véritable, veine : décidément, le petit poème dramatique, une sorte de longue idylle poétiquement descriptive, habilement semée d’émotion et de rire, un cadre romanesque où se jouent avec art la gaieté, la grace et la rêverie ; lui réussissent à merveille. Sa muse y a tour à tour les allures penchées et tristes des femmes grecques dans leurs danses funéraires, ou bien la légèreté pétillante et comme le bruit de castagnettes d’un boléro espagnol. Jasmin est dans la bonne route ; le voilà qui demeure fidèle à l’inspiration de sa touchante Aveugle et de ses charmans Souvenirs ; à force de travail, il avive chaque jour sa forme et lui donne plus de vérité et de couleur. Ses conceptions sentent la maturité du talent, le progrès de l’art ; le style a des graces encore plus pittoresques, des tours plus ingénieux. Le poète, lui aussi, semble avoir la bouche pleine de petits oiseaux jaseurs,

La bouco pleno d’aouzelous.

Maltro l’innoucento ne fera qu’ajouter, j’en suis convaincu, à l’estime qu’on s’accorde à professer pour le gracieux talent de Jasmin ; Marthe la folle est la digne sœur de la pauvre Aveugle de Castel-Cuillé, si présente au souvenir de tous ceux qui, fidèles au culte de la poésie, vont sans préférence la chercher partout où elle s’abrite, dans le salon ou dans l’atelier.

Rien de mieux tourné que la dédicace de Maltro à Mme Ménessier, à la fille du poète regretté de Thérèse Aubert ; on dirait que les graces de l’original ont directement inspiré le peintre. Je traduis littéralement la première strophe :

Jolie dame de Paris,
Vous qui portez un nom si beau, qui tant brille,
Vous ne devinâtes pas, le jour où je m’en revins,
Qu’en vous quittant, je me promis
De vous envoyer poignée de fleurs
Fraîches, riantes comme vous.

Et le poète continue ainsi avec gentillesse de tresser son joli bouquet ; mais prenons de ces aimables mains la poignée de fleurs, pugnat de flous, si délicatement offerte, et respirons-en à notre tour le pénétrant et léger parfum.

Le sujet de Maltro l’innoucento est une de ces données empruntées simplement à la réalité et auxquelles l’art n’a qu’à faire subir quelques atteintes de l’idéal pour qu’elles se transforment avec bonheur. Une malheureuse folle nommée Marthe mourut à Agen, en 1834, qui depuis plus de trente ans s’était réfugiée dans cette ville ; rien qu’à la voir (nous avons son portrait sous les yeux), on s’apercevait que ces deux dons de Dieu, la beauté et l’intelligence, ne s’étaient séparés chez elle que sous quelque grand coup de la passion et du chagrin. Jolie encore sous ses haillons, on la voyait mendier dans les rues d’Agen, et s’enfuir épouvantée à l’aspect des enfans qui lui criaient :