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clergé, les débats irritans ont pris fin ; en ce moment, c’est la session des affaires qui va commencer. D’importantes discussions viennent de s’ouvrir au congrès sur le budget général du royaume, sur la répartition et la levée de l’impôt, sur le taux de la rente et la conversion de la dette publique, sur tous les problèmes où la fortune du pays se trouve engagée. Le cabinet Narvaez n’a qu’à prouver qu’il est en état de résoudre ces problèmes, et il n’y aura point en Europe une seule puissance qui mette encore en question l’avenir de l’Espagne constitutionnelle.

La question suisse a pris une extrême gravité depuis les évènemens de Lucerne. Il ne faut plus voir ici seulement une lutte politique, mais une lutte religieuse et sociale. La liberté moderne, la tendance démocratique, qui s’unit même, chez quelques-uns, à des rêves de nivellement et de socialisme, sont directement aux prises avec l’esprit traditionnel et conservateur, d’autant plus puissant chez les montagnards qu’il s’y allie à des mœurs et à des institutions républicaines. De plus, protestans et catholiques sont en présence, souvent dans la même vallée, dans le même canton ; les intérêts politiques et religieux se soutiennent et s’excitent ; le catholicisme, retranché dans l’ultramontanisme, en devient plus menaçant ; le protestantisme, poussé, débordé par le voltairianisme français et par le rationalisme allemand, se fait impatient, agressif, et la lutte de ces forces contraires se poursuit au sein d’une nation formée de peuplades distinctes, indépendantes, habituées de tout temps à manier chacune ses propres affaires de très près et dans le plus grand détail. Tous ces problèmes sont soumis à une confédération d’états liés entre eux et pourtant souverains, où une voix en diète peut s’obtenir, se perdre par une révolution cantonale, où cette voix si chèrement achetée n’aboutit d’ordinaire qu’à une minorité, souvent même, ce qui est pis encore, à une majorité impuissante.

A la Suisse ainsi faite que reste-t-il ? En quoi consiste, en fin de compte, sa force et sa vie (et, bonne ou mauvaise, elle vient de prouver qu’elle était capable d’en avoir) ? Qu’est-ce qui la soutient, la divise, la trouble ou la défend ? C’est le peuple. C’est à lui que tout revient en dernière analyse. Sous une forme ou sous une autre, c’est lui qui agit, qui décide et qui juge.

Il est facile de voir, dans le débat actuel, combien, de part et d’autre, le peuple s’y est profondément engagé. C’est la question religieuse qui domine pour ainsi dire la situation. Eh bien ! non-seulement le peuple a montré dès l’origine, par des agitations, des réactions et des révolutions cantonales, combien il était préoccupé de cette question ; mais maintenant il vient de la porter et de la débattre lui-même au centre de la confédération. Or, par là, il achève de s’initier aux questions particulières, qui gagnent chaque jour en importance et en vivacité. Voyons un peu, à cet égard, le progrès des faits.

Il y a une dizaine d’années, les états catholiques libéraux (Lucerne en était alors) et les cantons mixtes, comme Berne et Argovie, tinrent à Baden une conférence où ils arrêtèrent certaines mesures à prendre en commun pour