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connaît. On dit que cet état lui plaît : c’est la plus grande injure qu’on puisse lui adresser. Que voyons-nous depuis quatre mois ? Les chambres ordonnent, le gouvernement se tait et obéit ; l’initiative parlementaire se développe avec excès ; les prérogatives de la couronne sont mal défendues ; le pouvoir décline et s’affaiblit : comment le ministère pourrait-il se réjouir d’une pareille situation, qui est le résultat de ses fautes ? Évidemment on le calomnie.

La loi des douanes a été votée au palais Bourbon ; elle portera long-temps avec elle le souvenir des concessions du cabinet sur le traité belge, sur le traité sarde, sur la question industrielle du sésame. L’honorable M. Cunin-Gridaine s’est remis des déceptions cruelles qu’ont éprouvées dans cette discussion sa loyauté et sa bonne foi. Il a repris son portefeuille, sauf à s’en démettre encore à la première occasion où son esprit concevra de nouveaux doutes sur la dignité et la franchise de la conduite parlementaire de ses collègues. La discussion de la loi des douanes a soulevé un incident qui n’est pas sans importance, et qui révèle une nouvelle faute du cabinet. Par une convention de 1839, ratifiée en 1843, l’Angleterre et la France ont réglé la question des pêcheries sur les côtes des deux pays et ont déterminé les peines auxquelles peuvent être soumis les marins de chaque nation, lorsqu’ils dépassent les limites fixées. La convention signée et ratifiée, le ministère anglais s’est empressé de la faire sanctionner par un bill, formalité nécessaire pour l’application des peines résultant des conventions diplomatiques. Notre cabinet, au contraire, a négligé de remplir cette formalité ; le projet de loi devrait être présenté depuis dix-huit mois, il ne l’est pas encore. Que résulte-t-il de ce retard ? Que nos marins, lorsqu’ils sont en contravention, sont punis par la loi anglaise, tandis que nos tribunaux, désarmés à l’égard des pêcheurs anglais qui sont pris dans les eaux de la France, sont forcés de les relâcher sans les punir. Nous ne dirons pas que ce retard, qui irrite notre marine, soit le fait d’une condescendance coupable ; c’est déjà bien assez de l’imputer à un oubli.

La proposition de MM. Boissy-d’Anglas et Lasnyer, ayant pour but d’interdire aux députés de s’intéresser dans les marchés conclus avec l’état, aura les honneurs de la discussion. Le ministère la trouve absurde et impraticable ; néanmoins il a admis qu’elle fût prise en considération. On sait qu’en pareil cas c’est son raisonnement habituel. Cependant, pour être juste, il faut dire qu’il a eu le courage de se conduire plus logiquement à l’égard de la proposition de M. Crémieux concernant l’adjonction des capacités, et que ce courage lui a réussi. Combattue par M. Duchatel, la proposition de M. Crémieux a été repoussée à une majorité de 14 voix. Plusieurs propositions restent encore sur le tapis. Celle de M. de Rémusat n’est pas encore sortie des mains de la commission nommée pour l’examiner, d’autres disent pour l’enterrer. Celle de la conversion des rentes sera bientôt discutée. La commission qui a examiné le projet de M. Muret de Bort s’est montrée rigoureuse, et il est probable que cette rigueur sera du goût de la chambre. Que fera le ministère ?