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et le ministre qui a signé l’indemnité Pritchard serait pour lui si commode !

Une question orageuse remue en ce moment la vieille Angleterre. Il s’agit de la dotation du séminaire de Maynooth. On sait que sir Robert Peel propose de porter à 26,000 livres sterling la subvention de 9,000 livres que le parlement, en vertu d’une convention spéciale, vote tous les ans en faveur de cet établissement catholique d’Irlande. Il propose en outre de déclarer cette subvention permanente, pour éviter les discussions ardentes qu’elle soulève. Tous les partis de l’Angleterre sont en feu ; le protestantisme exclusif jette les hauts cris ; le parti ministériel fulmine ; les partisans de l’église établie, les membres des congrégations dissidentes, les sectaires de toutes les communions et de toutes les paroisses entassent les pétitions sur le bureau de la chambre des communes. Accusé par le vieux protestantisme anglican, qui repousse comme un scandale, comme une trahison, l’entretien d’un séminaire papiste avec les fonds du trésor de l’Angleterre ; d’autre part, en butte aux dissidens, qui n’admettent pour aucune église les subventions de l’état, sir Robert Peel, soutenu par l’opposition des communes et par ce pouvoir tyrannique qu’il exerce encore sur son parti, brave la tempête qu’il a soulevée, et déclare qu’il fera de l’adoption du bill de Maynooth une question de cabinet.

Que sir Robert Peel ait à se repentir plus tard de ces excès de témérité, renouvelés tant de fois ; que son parti conspire contre lui, que les tories attendent avec impatience le moment de venger leurs humiliations et leurs défaites ; que le jour approche où l’homme qui excite à la fois tant de haine et de sympathie, tant d’applaudissemens et de fureurs, tombera sous le coup d’une malédiction universelle, tout cela est bien possible : on n’écrase pas impunément l’orgueil d’un parti puissant, on ne fait pas impunément violence à ses traditions, à ses idées, vieilles comme lui-même ; mais qui ne se sent saisi d’admiration pour le rôle que joue en ce moment sir Robert Peel, pour ce généreux usage qu’il fait de son pouvoir, pour cette manière libérale et digne dont il entend les devoirs d’un gouvernement placé à la tête d’une grande nation ? A coup sûr, s’il voulait vivre en paix avec son parti, rien ne lui serait plus facile. Il n’aurait qu’à suivre l’ornière du passé et à se renfermer dans les loisirs d’une politique inactive et stérile. Il a mieux aimé le mouvement et le progrès. Il a trouvé plus noble de dominer son parti que de marcher à sa suite. Il a établi son prestige par le sentiment de sa force, par la hardiesse et la grandeur de ses conceptions, et il s’en est servi pour lutter avec avantage contre les préjugés de son pays. Chef d’un parti rétrograde, il a inauguré une politique de réforme. Voilà les choses qui font les grands ministres. Quel exemple pour les hommes d’état qui nous gouvernent aujourd’hui, et quelle leçon !

Nous n’avons rien à dire de nouveau touchant la situation de notre ministère. C’est toujours la même position humble, précaire et indécise qu’on lui