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duc de Broglie, dont on annonce le retour à Paris pour quelques jours, bien que ses conférences avec le docteur Lushington ne soient pas encore terminées. Que vient faire à Paris le noble duc ? Voilà le problème qui tient en ce moment les imaginations en éveil. M. de Broglie a-t-il besoin de s’entendre avec M. Guizot au sujet de quelque embarras survenu dans la commission mixte ? Cela n’est pas croyable. Avant d’aller à Londres, l’honorable pair a dû savoir quel serait le résultat de sa mission. N’assistons-nous pas à une comédie dont les rôles sont appris par cœur, et dont les acteurs connaissent très bien le dénouement ? Des bruits contradictoires circulent sur la nature des moyens qui seraient substitués temporairement à l’exercice du droit de visite. On parle d’un arrangement par suite duquel tout navire suspect de France ou d’Angleterre pourrait être arrêté par les croiseurs de l’un ou de l’autre pays, sous la condition de n’être visité que par un croiseur de sa nation. Le droit d’arrestation réciproque remplacerait ainsi le droit de visite. On se demande si l’exercice d’un pareil droit ne ferait pas naître entre les deux pays les mêmes occasions de lutte, les mêmes ressentimens, qu’il s’agit de prévenir aujourd’hui. Un équipage français, arrêté au milieu des mers, forcé d’interrompre sa course et conduit pendant des jours entiers à la remorque d’un croiseur anglais, sera-t-il moins humilié que si ce croiseur exerçait sur lui le droit de visite pour le laisser libre aussitôt après ? Le droit d’arrestation, qui entraînera des lenteurs et qui exigera l’augmentation des croisières, sera-t-il aussi efficace que le droit de visite, beaucoup plus simple et plus expéditif ? On annonce, dans tous les cas, que l’essai des moyens substitués au droit de visite ne suspendrait les traités que pour deux ans, et que cette suspension ne pourrait être prolongée que par le consentement des deux parties ; chose dangereuse, qui laisserait planer le droit de visite comme une menace sur la France, et comme un élément de discorde entre les deux pays. En outre, cette clause spéciale de la suspension des traités aurait-elle besoin d’être stipulée ? Ne serait-elle pas la violation des traités eux-mêmes ? Ne semblerait-elle pas infirmer le principe d’après lequel les traités de 1831 et 1833, au moyen de la délivrance facultative des mandats annuels, sont résolutoires, de leur nature, par la volonté d’une seule des parties contractantes ?

Les conférences de la commission mixte ont donné lieu à quelques explications de sir Robert Peel dans le parlement britannique. Le ministre anglais déclare que l’arrangement consiste dans l’établissement de croisières mixtes sur la côte d’Afrique, et que ce moyen sera plus efficace que le droit de visite, si la France y consacre une force navale suffisante. Cependant sir Robert Peel n’est pas encore parvenu à vaincre sur ce point l’incrédulité de lord Palmerston. Aux yeux de l’ancien ministre des affaires étrangères, le droit de visite est toujours l’arche sainte, et y toucher, c’est sacrifier l’honneur de l’Angleterre à M. Guizot. Ce sont là des jeux d’esprit auxquels le noble lord nous a depuis long-temps habitués. Nous finirons par croire qu’il veut flatter M. Guizot dans un intérêt d’avenir. Lord Palmerston est si entreprenant,