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étaient le meilleur guide à travers l’histoire de sa vie. Bien qu’il ne puisse être ici nullement question de labyrinthe, prenez toujours ce fil d’Ariane, et pas un incident, pas un détail ne vous échappera. Ainsi, l’influence du voyage en Italie se fera sentir chez lui, même avant le départ : ce seront toute sorte de canzone, d’octaves, de sonnets, de gloses, de sixains, débités en manière de préludes, comme on siffle un air du pays en montant en voiture. Dans son impatience de fouler le sol inspirateur où tendent ses souhaits, il étudiera les poètes : Dante, Pétrarque ; ensuite, il leur empruntera d’autres formes, il rimera sur leur mode, afin d’avoir, sitôt en arrivant, l’air de famille. Toutefois, dans cette espèce d’antienne entonnée pieusement aux approches du départ, nous blâmerons en maint endroit l’excès du sentiment classique ; pourquoi ne pas s’être tenu aux rhythmes des poètes de l’Italie moderne, aux tercets, aux sixains, aux octaves, qu’il traite dans la perfection ? Qu’avait-il besoin d’évoquer le vieux mètre classique, incompatible, quoi qu’on fasse, avec le génie des langues du Nord, et qui, en dehors d’une prosodie basée uniquement sur les rapports de l’accent et du nombre, perd son éclat et son prestige ? On nous objectera peut-être les Élégies romaines, l'Hermann et Dorothée de Goethe et les odes antiques de Platen ; mais ce sont là des exemples isolés qui, tout à la gloire de leurs auteurs, ne prouvent absolument rien à l’avantage du système préconisé par Voss et son école. De toute façon, avouons-le franchement, Rückert était peu fait pour réussir en pareille restauration, bien entendu que nous laissons ici de côté la question de forme. Avec le mécanisme prodigieux que possède Rückert, nulle prosodie ne saurait avoir de secrets pour lui. Quoi qu’il en soit, l’ampleur du vers sied mal aux graces un peu minaudières de sa pensée ; cette idée, que je comparerais volontiers aux plus agréables modèles de Claudion, n’a que faire de la pompe du marbre : la terre cuite lui va mieux, et, malgré l’exemple cité plus haut de Goethe dans Hermann et Dorothée, je ne saurais approuver qu’on s’adresse à ce que la forme antique a de plus solennel pour rimer l’églogue suivante, dont la coquetterie et le précieux s’accommoderaient davantage du quatrain de M. de Boufflers.

LE JARDINIER, à son fils.

De tant de roses que j’élève, je n’en trouve pas une à porter au marché. Avant que j’aie pu les vendre, un larron me les dérobe.

LE FILS.

Hélas ! il faut en convenir, je n’avais pas songé à l’argent dont je vous faisais tort ; vos roses, c’est moi qui les ai dérobées pour en donner un bouquet à ma maîtresse.