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pas moins de la moitié du second et du quatrième volume des œuvres complètes, et s’il se rencontrait déjà certaines difficultés de classification sommaire dans les deux premiers livres, celui des Chants de Jeunesse (Jugendlieder), auquel se rattache d’ailleurs l’élégie des Funérailles d’Agnès, et celui des Poésies contemporaines (Zeitgedichte), dont les Sonnets cuirassés forment la plus grande partie, nous avouons qu’ici notre tâche se complique singulièrement. Quel ordre voulez-vous qu’on mette dans ces fugitives impressions, espèces de flocons de neige qu’une nuée d’avril apporte, et qu’un rayon de soleil va dissoudre ? La belle affaire de piquer des papillons sur une carte, pour avoir ensuite un lépidoptère mort au lieu d’une vivante émeraude ! Écloses ici et là, tantôt sur le sol de l’Allemagne, tantôt sur la terre du Sud, en partie avant, en partie après le voyage à Rome, filles du soleil d’Italie ou de ce beau ciel d’Orient vers lequel, par l’étude de la langue et des mœurs, insensiblement Frédéric Rückert s’achemine, ces poésies ont dû le jour à diverses influences de temps et de lieux. Du reste, leur titre de Wanderungen, autrement dit impressions de voyage, l’indiquerait assez. Le poète et sa fantaisie font leur ronde buissonnière, longeant le fleuve et le ruisseau, parcourant le sentier où l’oiseau chante au clair de lune, grimpant sur la montagne pour y jouir de quelque grand spectacle : le torrent écumeux, le lac argenté, l’océan immense, mieux encore un de ces paysages évoqués de l’ancien monde, comme en voit la nuée fantastique dans l’orientale de Victor Hugo. — Ils vont, à travers l’ivresse et le chagrin, l’enthousiasme et la déception, le soleil et l’ombre, le bonheur si doux de s’oublier soi-même et le pressentiment qui ronge ; ils vont et marchent jour et nuit, sans relâche, jusqu’à ce qu’ils arrivent à l’abri souhaité, à l’heureuse retraite où l’amour veille.

En plus d’un point, ces poésies mêlées se rattachent aux Jugendlieder, et je dirais presque qu’elles en sont la continuation, avec cette différence toutefois qu’ici l’homme se manifeste, et qu’une appréciation plus posée, plus rassise des choses remplace les anciens élans. La sentimentalité, elle aussi, a disparu, et c’est à peine si vous en trouvez encore trace, tandis que vous voyez se lever à l’horizon, comme un de ces splendides reflets d’orange et d’or annonçant pour la moisson du lendemain une belle journée, ce principe philosophique au sein de la poésie, cet esprit grave et sentencieux qui, trouvant en Orient le point d’attraction, le point magnétique, deviendra dans la suite l’originalité du poète et le trait caractéristique de son génie. À ce compte, ces poésies mêlées répondraient à une période de transition chez Rückert. Inutile d’ajouter d’ailleurs que certaines préoccupations plus humaines