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les masses. Sa personne, en tout ceci, n’est point en jeu, et pour ses sentimens, exprimés sans doute avec quelque enthousiasme, j’y vois moins cet élan spontané, irrésistible, ce cri de la conscience au désespoir qu’un besoin de se conformer à la pensée commune. Chantre paisible de la nature, poète amoureux de toutes les ciselures, de toutes les élégances de la forme, le tumulte des évènemens le chassant hors du cercle de sa contemplation, il se met à composer selon la circonstance. Il y a ainsi dans toute époque un motif d’inspiration qui est dans l’air, et dont chacun doit, en fin de compte, faire usage, une influence de l’atmosphère littéraire à laquelle on ne se soustrait pas. Et pour cela ne croyez point qu’il soit besoin que les empires s’ébranlent ou s’entrechoquent. La Muse a ses caprices comme l’onde. Nous-mêmes, en France, que de périodes n’avons-nous pas vu se succéder depuis quinze ans, sans que nous puissions dire d’où nous vient aujourd’hui ce superbe mépris pour tous ces merveilleux ouvrages de marqueterie poétique dont nous raffolions tant aux beaux jours romantiques des odes en spirales et des ballades en losanges ! Du reste, dans le cours du volume, Rückert n’abdique pas un seul instant son caractère de poète sentimental. Ses chants patriotiques sont plutôt des romances chevaleresques, des ballades dont un épisode de la veille fait le sujet, que des hurrahs poussés à la manière d’Arndt et de Koerner. Aussi, lorsque l’horizon se rassérène, que la situation, de morne et sanglante qu’elle était, devient élégiaque et douce, comme sa poésie gagne à changer de ton ! c’est le cri de l’oiseau après l’orage, quelque chose comme cet indicible sentiment de rêverie et de bien-être qui vous inonde en présence de l’apaisement universel de la nature. Le ciel, tout azur, vous regarde de ce limpide et transparent regard d’un œil qui a pleuré ; les fleurs relèvent insensiblement leurs calices chargés de pluie, et, tandis que le tonnerre s’éloigne en grondant, l’alouette risque un appel. Je voudrais pouvoir donner ici les pièces intitulées Restez- au pays, le Chant de la Moisson, les Oiseaux de la Moisson, échos mélancoliques d’un temps cruel qui tire vers sa fin ; mais, puisque j’ai parlé de Koerner, et que d’ailleurs on ne saurait tout citer, je me contente de traduire ces vers écrits à sa mémoire :


« Couvert par la mousse, un chêne robuste et sublime s’élève non loin de Wobblin, un village dans la marche du Meklembourg.

« Au-dessous est une tombe nouvellement scellée d’une simple pierre. A minuit, un fantôme en sort au clair de lune.

« Son œil se fixe sur l’écorce de l’arbre et lit le nom qui s’y trouve incrusté ;