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La prise de l’eau aux fontaines marchandes est imposée au quart de sa valeur vénale ; le transport à domicile par les détaillans entretient donc un mouvement de fonds de 1,800,000 francs, dont les trois quarts, à répartir entre six à sept cents porteurs, constituent pour chacun d’eux un bénéfice net et assuré de 2,000 francs par année. Étrange et désolant exemple de la fatalité qui pèse sur le pauvre ! L’eau, la plus commune, mais la plus nécessaire des choses usuelles, coûte quatre fois moins cher aux riches qu’aux indigens. Les premiers, qui se fournissent par abonnement, absorbent pour 500,000 francs une aussi grande quantité d’eau que les petits acheteurs pour près de 2 millions. Un projet qui sommeille depuis près de trente ans dans les cartons de la préfecture aurait pu mettre un terme à cette injuste disproportion. Une société sollicitait, moyennant un arrangement avec la ville et les propriétaires particuliers, l’autorisation d’élever l’eau par des tuyaux, et de la distribuer dans les appartemens jusqu’aux derniers étages des maisons. Nous ne savons pas quels obstacles a rencontrés ce projet. Peut-être a-t-on craint d’exciter les brutales fureurs des Auvergnats, en leur enlevant le monopole qui leur est si profitable.

Les marchandises de toutes sortes, tissus, denrées, liquides, matériaux de construction, entrent à peine dans Paris, qu’aussitôt surgissent des agens pour peser, jauger, mesurer, plomber, estampiller. Un propriétaire a-t-il fantaisie de bâtir ou simplement d’améliorer son domaine, c’est matière à inspection de la part des commissaires-voyers, grands et petits. Précautions nécessaires pour empêcher les fraudes, dira-t-on : sans doute, et en même temps, moyen ingénieux pour faire entrer dans les caisses municipales 440,000 francs. Les conducteurs de voitures ou de bateaux qui ne veulent pas être retenus des heures entières aux bureaux d’entrée peuvent aujourd’hui se faire escorter par un agent qui fait la visite à domicile. Cette politesse de l’administration lui rapporte, à raison de 1 franc par voiture et de 2 francs par bateau, une somme de 147,000 francs.

Le conseil de la ville, ne se croyant peut-être pas le droit d’imposer la circulation des voitures, ne vend que la faculté de stationner sur la voie publique. Il résulte de ce scrupule un nouveau privilège à l’avantage de la fortune. Le fringant équipage qui écrase le pavé, le cabriolet bourgeois, si menaçant pour le piéton, ne subissent aucun droit. Au contraire, 733 cabriolets de l’intérieur imposés à 215 francs, les cabriolets de l’extérieur à 115 francs, les coupés à 130 francs, les fiacres à 150 francs, plus de 300 omnibus à 400 francs, fournissent un