Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on peut, sans exagération, évaluer au tiers[1] ? La classe supérieure ne s’aperçoit pas de ce déficit. Jamais la table du riche n’a été pourvue avec tant de recherche ; tout le mal est pour le pauvre l’homme du peuple perd le goût des alimens qui sont la base d’une bonne nutrition, et s’habitue à la dangereuse surexcitation que laisse une nourriture frelatée. A la viande saine du bœuf ou du mouton, il préfère celle du porc. On reçoit présentement 1,200,000 kilogrammes de charcuterie, sans compter celle qui est faite avec les 86,000 porcs dépecés à Paris. A défaut de vin, on s’enivre d’alcool : de 3,000 hectolitres reçus en l’an VIII, l’introduction s’est élevée récemment à plus de 49,000 ; ou bien, ce qui est pis encore, on boit cette affreuse mixture que la plupart des cabaretiers de Paris composent et débitent impunément. Beaucoup de personnes imputent à l’octroi ces tristes résultats : c’est une accusation que nous nous réservons de discuter en appréciant le budget dans son ensemble.

La caisse de Poissy et les abattoirs établis, dit-on, pour régulariser le commerce de la boucherie, ne sont encore au fond que des impôts en surcharge de l’octroi. Si les marchands forains qui amènent leurs bestiaux sur les marchés ne trouvaient pas à les vendre au comptant, et restaient livrés, par défaut de concurrence, à la merci des accapareurs, la population d’une grande ville comme Paris pourrait être menacée dans sa subsistance. On imagina donc d’instituer une compagnie sous le patronage de l’état pour faciliter les achats et les paiemens. Cette idée, mise en pratique dès le moyen-âge, fut nombre de fois reprise et abandonnée. En 1747, le gouvernement établit au principal marché d’approvisionnement, à Poissy, une caisse destinée à faire des avances aux marchands de Paris : inutile est d’ajouter que cette caisse fut constituée de façon à faire entrer dans le trésor public une somme assez ronde. En 1778, le bail en fut renouvelé pour douze ans, à raison de 750,000 livres. Ennemi déclaré du monopole, Turgot fit casser ce bail, et remplaça le bénéfice du trésor par une

  1. Nous craindrions de nous tromper, si d’autres calculs, établis sur des bases différentes, ne donnaient pas des résultats plus attristans encore. « A Paris, dit. M. Michel Chevalier, dans son Cours d’Économie politique (18e leçon, 1842), en 1789, on buvait annuellement 131 litres de vin par individu ; de 1806 à 1811, la consommation parisienne était de 160 litres ; de 1830 à 1835, elle n’a été que de 103 ; le chiffre de 1840 était de 93 litres. De 1812 à 1840, la consommation de la viande est tombée de 70 à 48 kilogrammes par tête. » De l’aveu du ministère du commerce, la diminution de la viande de boucherie consommée par la France entière a été, de 1830 à 1841, de 8 6/10 pour 100.