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IV

Toute l’entreprise historique de M. Lacordaire peut se résumer en un mot : il a faussé l’histoire afin de prouver la divinité du christianisme de la façon la plus injurieuse possible pour l’intelligence de l’homme ; c’est encore le but qu’il se propose dans toutes ses doctrines philosophiques. Malgré quelques apparences, ou plutôt quelques souvenirs d’émancipation, M. Lacordaire relève entièrement de la nouvelle école ecclésiastique ; il abandonne cette route lumineuse où, déjà conduite par tant de beaux génies, la foi semblait devenir de plus en plus raisonnable.

Ce qui a porté si haut la gloire de l’esprit français au XVIIe siècle, c’est la règle et la mesure en tout ; il n’y a vraiment de puissance que là. On vit donc alors comme un apaisement réfléchi de la pensée, comme un désir universel de calme et de tempéramens ; le christianisme sut garder la place qui lui convenait en s’accommodant de ces nécessités nouvelles. Ç’a toujours été le propre de la loi chrétienne et la marque de sa supériorité de se faire toute à tous, et, suivant que les relations humaines changeaient, de se présenter aux hommes par les côtés qui leur allaient le mieux. Elle combattit le paganisme avec l’exaltation du martyre ; aux malheurs de l’invasion et de la barbarie, aux souffrances de la domination féodale, elle opposa la passion du sacrifice et l’amour de la résignation. Quand vint la transformation de la société, quand le monde moderne se créa peu à peu par l’affranchissement des intelligences et par l’amélioration de la vie matérielle, le christianisme répondit à ce besoin en se divisant ; ce fut un malheur sans doute, parce que le schisme est toujours une faiblesse, mais ce fut une grande leçon pour l’avenir, et sur le moment même la leçon porta ses fruits. Averti par cette éclatante dissidence des protestans, le catholicisme comprit lui-même que le moyen-âge était passé ; il travailla sérieusement à s’arranger de son temps ; il avait employé naguère toutes les ressources de mysticité qu’il développe au fond des cœurs, il sentit qu’il fallait en appeler désormais à tout ce qu’il avait de force rationnelle et libre, s’il voulait suffire à cette grande activité de la raison humaine qui le pressait de toutes parts. Ce fut ainsi que prévalut plus que jamais dans l’église de France cette ferme tradition de bon sens et d’équité dont les origines remontaient chez elle aux temps les plus lointains. Servie par le concours volontaire d’une philosophie indépendante, par l’étude libérale des pères et de l’antiquité chrétienne,