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assez vigoureuse pour exercer pleinement un si glorieux empire ? Non, ce n’est pas là le vrai sens des choses divines et humaines, c’est encore moins le vrai sens de ce temps-ci ; c’est le triste effort d’un zèle malheureux qui égare M. Lacordaire, qui l’éloigne du pays et de l’âge auquel il appartient, qui lui fait oublier ce qu’il est et ce que nous sommes, pour le transporter dans un monde d’illusions, comme en face des mirages du désert. « Zèle bizarre, dit Bourdaloue, qui, sans avoir appris à se gouverner par le bon sens, voudrait néanmoins être reçu à gouverner souverainement, et qui, plein de ses idées vaines et quelquefois extravagantes, au lieu de travailler à les redresser, prétend à son gré donner la loi partout et réformer tout. Zèle borné et limité : ce que l’on a jugé bon et saint, on veut qu’il soit bon et saint pour tout le monde, et si tout le monde n’en passe pas par là, on est déterminé à condamner tout le monde et à croire tout le monde perdu. Mais Dieu, le souverain maître, n’a-t-il point, dans les trésors de sa sagesse, d’autres idées du bien que celles que vous vous proposez ? Et qui êtes-vous enfin, pour entreprendre, si je puis ainsi parler, de raccourcir sa providence ? Il aurait fallu de bonne heure vous élever l’esprit, cura te ipsum ; il aurait fallu vous faire une plus grande ame, une ame capable de tout bien, capable au moins d’estimer le bien partout où il est et de quelque part qu’il vienne. » Puisse M. Lacordaire se rappeler l’année prochaine ces admirables conseils ! puisse-t-il nous rendre un peu de cette noble sagesse ! Nous sommes tout prêts à nous accommoder du sévère Bourdaloue.


III

M. Lacordaire ne connaît pas son auditoire, il le traite pour une maladie dont il n’est pas malade ; voici pis encore, il le traite avec des remèdes qui n’en sont pas ; il le nourrit de chimères, et le tient hardiment à ce régime qui l’épuise : c’est de la médecine d’empirique.

Et d’abord M. Lacordaire tire grand parti de l’histoire, mais il en use mal et la rend peu sérieuse ; c’est un mauvais exemple, et de ce côté-là trop d’autres le suivent.

Il y a quelque chose d’assez triste pour l’avenir intellectuel de cette agitation qui s’est produite au sein de l’église dans les dernières années, c’est le mauvais cachet de la littérature ecclésiastique ; orateurs ou écrivains, les hommes du sacerdoce avaient entre les mains les plus beaux modèles du style français et de la pensée française ; c’était leur domaine propre : il semble, en vérité, qu’ils aient peur d’y toucher. Pour la