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C’était alors, c’était au sortir de ces deux camps d’exagérés, après s’être bien lassés de moqueries ou de pleurs, c’était sous l’empire d’un dernier ébranlement de passion qu’on allait chercher dans l’église un port plus sûr et une nourriture plus solide ; c’était là le temps de ces conversions éclatantes que M. Lacordaire essaie de provoquer chez nous, ce fut peut-être le temps de la sienne ; ce temps-là n’est plus, nous ne sommes plus les hommes de sa jeunesse.

Nous ne sommes plus voltairiens ; personne ne l’est au mauvais sens du mot, parce qu’en respectant ce noble génie, nous savons cependant qu’il a fait son œuvre, et que les jours de sa puissance et de sa justice sont passés ; il a bien mérité qu’on lui pardonnât ceux de sa colère. Si ce n’est Voltaire, encore moins est-ce Byron qui nous gouverne. Manfred pas plus que Faust n’a jamais été chez nous un modèle bien suivi, et René lui-même est resté un héros fort exceptionnel ; la vogue n’y est plus et la nature n’y a jamais été. Manfred, Faust, René, ce sont des gens qui, usant leur liberté par de vaines rêveries, rencontrent à tout moment l’impossible dans ces sphères obscures où ils se perdent sans jamais agir, et finissent par désespérer ; mais nous qui vivons d’une vie plus pratique, au milieu d’un monde plus réel, n’employant jamais notre liberté qu’aux choses possibles, nous en obtenons ce que nous lui demandons, et contens de cette perpétuelle victoire, nous ne tombons guère dans les noirs chagrins où ces ambitions impuissantes venaient si stérilement emprisonner leur orgueil.

Il faut que M. Lacordaire le sache et le tienne pour certain, nous tous qui sommes de notre temps et ne regrettons pas d’en être, nous avons, grace à Dieu, de plus fermes croyances qu’il ne l’imagine ; nous sommes pénétrés de cette idée bienfaisante qu’il y a dans l’intelligence humaine une force propre qui ne lui manque jamais ; nous sommes sûrs qu’elle a, par elle-même, par sa seule nature, le droit imprescriptible d’affirmer les vérités essentielles à l’accomplissement de ses destinées. Qu’à cette affirmation préalable on ajoute ou l’on n’ajoute pas ensuite les dogmes miraculeusement révélés d’une foi surnaturelle, je dis qu’en un cas comme dans l’autre, il est impossible de nous contester ces solides fondemens ; je dis qu’assise sur ces bases immortelles, l’humanité n’est pas si chancelante qu’elle le serait assurément du jour où elle se jetterait tout entière dans les bras de ceux qui voudraient la réduire à confesser une si triste insuffisance. Écoutez M. Lacordaire ; il semble que sa parole ne soit point seulement l’enseignement ordinaire distribué par l’église, mais aussi, mais