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tions imposantes. Aussi, est-ce là que l’on ressent le plus vivement, quand on va s’éloigner, toute l’angoisse du départ, là que l’on éprouve pour la première fois, quand on se rapproche du pays, toute la joie du retour. Dans cette ville amphibie, si l’on peut ainsi parler, on goûte avec curiosité, au début du voyage, les prémices de la vie orientale, et l’on y retrouve avec bonheur, au retour, ces habitudes européennes dont on était si las. Quant à moi, je partais pour long-temps, et je me rappellerai toujours la lutte qui, durant mon séjour à Malte, se livrait en moi entre le désir de l’inconnu et le regret de l’éloignement, entre l’amour des voyages et l’amour du pays. Un jour surtout, cette situation devint poignante, c’était la veille de notre départ. Par une de ces belles soirées qui suivent les chaudes journées, nous conduisions, à bord du Mongibello, Grisar, qui retournait en Italie. La nuit s’étendait mollement autour de nous. Dans le monde, tout était calme et harmonie. L’air, la lumière, le bruit de la mer, étaient d’une douceur infinie, une brise tiède ridait l’eau ; on n’apercevait dans le port que la silhouette sombre des vaisseaux de guerre ; au loin passait un canot chargé de musiciens, et l’air du soir nous apportait vaguement le refrain affaibli de je ne sais quelle chère romance ; j’allais quitter cet aimable compagnon que le hasard m’avait fait rencontrer ; déjà j’entendais bruire la vapeur du Mongibello, et grincer la chaîne de son ancre ; dans quelques minutes, il partait pour l’Italie et de là pour la France. Mon cœur le devança. Le souvenir des miens vint voltiger autour de moi, doux comme l’air du soir, comme la clarté des étoiles, comme le refrain de la romance ; c’était un de ces rares instans où l’on est avec tout ce qui vous entoure en rapport direct et comme magnétique. La nature tout entière semble parler alors le langage de votre cœur, elle exprime vos pensées, et l’on croit les entendre murmurer autour de soi. L’Orient me semblait bien loin en ce moment, et le pays natal m’apparut si charmant, que je faillis changer de navire. Je n’en eus pas le temps ; à peine notre compagnon fut-il à bord, qu’un coup de sifflet retentit ; les roues frappèrent l’eau, firent bouillonner les vagues, et deux minutes plus tard on n’apercevait qu’une sorte de nuage noir qui filait sur les flots, l’on n’entendait plus qu’un roulement lointain.

Le lendemain matin, nous partions à notre tour dans une direction opposée, Malte s’effaçait derrière nous comme une ombre, et après trois jours d’une belle traversée, j’oubliai mes regrets d’un instant, et poussai un cri d’enthousiasme en voyant se dessiner à l’horizon les montagnes bleues du Péloponèse.


Alexis de Valon.