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ces frères hospitaliers, et comment un général d’armée devrait les mettre en honneur aux yeux de tous, en ayant pour eux mille égards, en les invitant souvent à sa table, etc., etc., et il ajoute : « Depuis long-temps et sous l’empire, à la vue des désordres dont j’ai été quelquefois témoin, cette idée m’avait préoccupé. Sous la restauration, elle n’était pas praticable, à cause des suppositions qu’elle aurait fait naître ; mais le moment est peut-être venu de l’exécuter avec utilité et succès. Combien l’armée d’Afrique y trouverait de soulagemens ! » On pourrait objecter avec raison peut-être l’exemple des chevaliers de Jérusalem, et présumer que maintenant, comme autrefois, la charité n’étoufferait pas dans le cœur des hospitaliers cette tendance guerrière qui naît avec nous, cet amour de la lutte qui est inhérent à la nature humaine. On pourrait craindre que les nouveaux frères, lassés de leur rôle d’abnégation, ne se prissent à aimer l’odeur de la poudre, à envier le sort en apparence plus brillant du soldat qui peut obéir à l’impulsion de son cœur, s’exalter au bruit du canon, à la vue de la mêlée, et livrer en toute liberté ses sens à l’ivresse du combat. Cependant il est permis de croire que pour satisfaire cet amour du danger, pour apaiser ce besoin d’action et de gloire que rien ne réprime, il suffirait de permettre aux hospitaliers de partager les périls de l’armée en ramassant les blessés et en assistant les chirurgiens militaires sur les champs de bataille. Leur rôle alors serait complet et sublime. Au reste, il ne m’appartient pas d’insister, après M. le duc de Raguse, sur cette idée, à laquelle l’établissement des trappistes agriculteurs en Afrique semble donner un commencement d’exécution. Après avoir suivi la trace si profonde qu’ont laissée dans l’histoire les ordres à la fois religieux et militaires, on ne peut, sans un regret profond, la voir peu à peu s’effacer, disparaître, et l’on est entraîné, comme malgré soi, à rêver sa continuation ; que cet écart me soit donc pardonné, je reviens à ma tâche de voyageur, dont je me suis trop long-temps éloigné.

J’ai d’ailleurs dit de Malte à peu près tout ce que j’en voulais dire, et je m’arrêterais là si je ne pensais que le voyageur doit compte de ce qu’il éprouve autant que de ce qu’il observe. Or, le séjour de Malte laisse dans le cœur une impression tout-à-fait exceptionnelle. On ne s’arrête en effet dans l’île des chevaliers qu’en passant, et parce qu’il est impossible de faire autrement, on la visite au début ou à la suite d’une longue pérégrination. Malte touche à l’Italie, et quelques jours seulement la séparent de la France ; la mer s’étend au-delà, c’est la dernière pause, et dès qu’on la dépasse, le voyage prend des propor-