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voyait, disait-il, une preuve d’insigne malveillance, il ordonna un débarquement, qui eut lieu, le lendemain, sur quatre points à la fois. L’ordre était divisé. Le commandeur de Bosredon écrivit au grand-maître qu’il s’était engagé à combattre les infidèles, mais non ses compatriotes, et qu’en conséquence il resterait neutre. En voyant l’hésitation des chevaliers, les Maltais crièrent à la trahison. Les troupes républicaines avançaient pendant ce temps, et elles emportèrent la Cita-Vecchia presque sans résistance. Plusieurs chevaliers français, pris dans les redoutes, dans les batteries, furent amenés à Bonaparte. Le jeune général fixa sur eux son œil sévère : « Puisque vous avez eu le courage de prendre les armes contre vos compatriotes, leur dit-il, il fallait avoir le courage de mourir..... Allez, je ne veux point de vous, messieurs, pour prisonniers ; retournez à la Valette, tandis qu’elle ne nous appartient pas encore, et défendez-vous plus noblement. » C’étaient là de ces mots qui gagnent des batailles. D’ailleurs, toute défense dans l’état présent des choses était impossible, et l’on songea à capituler. Bonaparte reçut les plénipotentiaires avec une grace toute courtoise. Pour traiter avec les chevaliers, il dépouilla les façons rudes qui lui étaient habituelles à cette époque, et le gentilhomme apparut sous le général républicain. Il laissa voir, dès ce jour, des prétentions aristocratiques qui purent paraître singulières plus tard, lorsque, empereur et parvenu au faîte de la gloire humaine, il se montrait fier du blason obscur de sa maison, de ses mains patriciennes et de l’étiquette, digne de Louis XIV, qu’il avait introduite à la cour. Il présida lui-même à la rédaction de la capitulation, qu’il nomma en souriant convention, par ménagement, disait-il, pour l’honneur chevaleresque. Cette convention, signée à bord de l’Orient le 12 juin 1798, fut honorable pour l’ordre et si avantageuse pour le grand-maître, que sa réputation, à tort peut-être, en a souffert. En échange des forts et de l’île, la république française promettait à Ferdinand de Hompesch d’employer son influence au congrès de Rastadt pour lui faire avoir une principauté équivalente à celle qu’il perdait. On lui assurait, en attendant, une pension annuelle de 300 mille francs. A l’égard des chevaliers français résidant à Malte, il fut décidé qu’ils pouvaient rentrer dans leur patrie, et qu’ils y recevraient une pension de 800 francs, qu’on élevait à 1,000 francs pour les sexagénaires ; on leur laissait, en outre, les propriétés qu’ils possédaient dans l’île à titre de propriété particulière. Quant aux Maltais, on ne changea rien à leur sort ; ils conservèrent sans augmentation d’impôts tous leurs privilèges. Bonaparte