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le besoin de repos ; l’austérité remplaçait la licence, et du luxe effréné on passait à l’humilité rigoureuse. Ces ames vaillantes entraînées sans cesse, et par leur vigueur même, hors de toutes limites, étaient attirées des champs de bataille au cloître, des émotions du tournoi aux macérations de la pénitence, de la faute grave à l’expiation sévère. Aussi, quand Gérard Tunk eut l’idée d’élever en quelque sorte un monastère auprès du champ de bataille, qu’arriva-t-il ? C’est que beaucoup de chevaliers, lassés de la vie éclatante, allèrent y chercher une existence obscure, silencieuse, et que beaucoup croyaient expiatoire. Puis, lorsque fut épuisée cette période de charité, quand ces hommes crurent avoir racheté beaucoup par le dévouement, ils sentirent se réveiller en eux le souvenir de leurs grands coups d’épée, et l’amour des combats qu’ils repoussaient sans pouvoir l’éteindre se ranima dans leur cœur. Ils se trouvèrent mal à l’aise et presque ridicules sous le froc. Entraînés violemment par leurs désirs et retenus cependant par leurs vœux, ils adoptèrent avec empressement le terme moyen, la transaction que proposa un de leurs frères. Raymond du Puy, vieux soldat de Godefroy, avait eu la pensée de concilier les pratiques religieuses avec les devoirs de la chevalerie ; ce fut un trait de lumière. Les serviteurs de messieurs les pauvres malades, comme on disait alors, cachèrent une épée sous leur chapelet, et, sous prétexte de défendre les blessés confiés à leur garde, ils couvrirent d’un gantelet leur main hospitalière. Cette modification, qui diminuait l’austérité de la vie religieuse sans lui rien ôter de son mérite d’abnégation, et en lui donnant, au contraire, un caractère plus chevaleresque, plus poétique, valut à l’ordre un nombre immense d’adhérens. L’institution fondée par Gérard Tunk ne fut bientôt plus la seule ; il s’en forma de tous côtés de nouvelles, ayant les unes des règlemens plus austères, les autres des lois plus douces. Il y en eut, en un mot, pour tous les degrés de ferveur. Ces ordres servirent utilement les croisades. C’étaient autant de noyaux de braves chevaliers, habitués à un climat dangereux, autour desquels venaient se rassembler les nouvelles recrues qu’envoyaient en Terre-Sainte les pays d’Europe. Tout le monde chrétien leur vint en aide et les soutint tant que, relégués au fond de l’Orient, ils servaient la cause commune sans être à craindre ; mais après la prise de Jérusalem, ils se retirèrent à Rhodes ; Rhodes pris, ils vinrent à Malte : l’Occident s’étonna de les voir se rapprocher toujours. De près leur puissance fit ombrage, et l’on se mit à les surveiller non sans crainte.

Ce fut, nous l’avons dit, en 1526 qu’ils se réfugièrent à Malte.