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temps éternel, s’il faut croire Fénelon. Devant nous, les pauvres maisons de Cita-Vecchia (la ville vieille) se groupaient autour de l’église. En face de cette pauvre île, qui ressemble à une vaste arène, l’un de nous observa avec justesse que les hommes avaient fondé leurs établissemens les plus considérables, les plus célèbres, dans des lieux qui semblaient avoir été oubliés de Dieu et comme maudits. Dans l’antiquité, Rome, cette reine du monde, s’élevait au milieu d’un marécage pestilentiel ; Athènes, cette patrie des arts, se cachait dans une vallée étroite, malsaine, aux pieds de montagnes arides. Paris, dans les temps modernes, s’est étendu sur un marais de mauvais renom, et Pierre-le-Grand a fondé Pétersbourg dans une mare. Il est vrai qu’à ces lieux déshérités le ciel avait départi de secrets avantages de position qui rachetaient au centuple les rigueurs de la nature. Malte, que, toute proportion gardée, on peut citer à côté des noms les plus célèbres, tant à cause de sa gloire passée que de son importance future, Malte nous offre le plus frappant exemple de ces comparaisons célestes. Cette île, en effet, n’est qu’un écueil, et cet écueil, qui est déjà la position militaire la plus importante, la plus précieuse du globe, deviendra dans un avenir prochain peut-être le pivot du commerce du monde, le point intermédiaire des relations de l’Amérique avec les Indes. Son importance a été de tout temps reconnue, et, pour s’en convaincre, il suffit d’interroger son histoire. Si l’on reporte sa pensée vers les époques les plus lointaines auxquelles remontent nos traditions, on voit tous les peuples se disputer tour à tour ce rocher, bastion naturel de la Méditerranée.

1519 ans avant Jésus-Christ, les Phéniciens, voulant mettre à profit les avantages que la situation de cette île offrait à leur commerce, y fondèrent une colonie, et ce peuple de marins se lia facilement à une population que la mer faisait vivre. Les habitans de l’île adoptèrent leurs lois et les suivirent pendant sept cent quatre-vingts ans. Les Grecs, qui, toujours poussés par une sorte d’instinct poétique, avaient conduit leurs colonies dans les plus délicieuses contrées de la terre, et venaient de fonder un de leurs empires les plus puissans à Syracuse, s’autorisèrent du voisinage, et enlevèrent l’île aux Phéniciens. Sous leur domination, elle prit le nom de Melita (μελιτα, abeille) à cause du miel délicieux qu’on y recueillait. Les Carthaginois dans leurs guerres avec les Romains ne pouvaient autrement faire que de s’emparer de Malte ; ils l’enlevèrent aux Grecs ; les Romains en chassèrent les Carthaginois, et, chassés à leur tour, ils ne revinrent définitivement que l’an 216 avant Jésus-Christ. Leur domination dura plus de six siècles. L’an 58