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si harmonieux des matelots siciliens. Après le dîner et les cigares du soir, on se réunissait à la Floriane, sorte de jardin long et étroit, planté de poivriers, de caroubiers, et de néfliers du Japon. Une heure après le coucher du soleil, lorsque, dans ce beau climat, toute la partie orientale du ciel est tendue d’un rideau de velours pourpre frangé d’or, quand l’air brûlant pendant le jour est attiédi par la brise, c’est une promenade curieuse que la Floriane. Là, sous le satin des mantilles, on voit de toutes parts pétiller des yeux noirs qui vous ôtent bien vite le peu de raison que vous a laissée la tiédeur de l’atmosphère. Pour regarder le passant qui les admire, les Maltaises ne tournent jamais la tête, leurs prunelles seules roulent dans leur orbite, et ce n’est pas, comme en Grèce et à Smyrne, une voluptueuse langueur que ce regard exprime, c’est la passion brûlante, l’ardeur africaine. Leur démarche nerveuse, leur taille, dont on devine les contours sous les plis serrés de la mantille, parlent le même langage. Assurément la vie humaine est la même, à bien peu de choses près, en tout pays. Il n’est pas un coin du monde habité si mal partagé du ciel, qu’il n’ait son allée sablée et ses arbres en quinconce à l’ombre desquels, durant les belles soirées d’été, les jeunes gens se réunissent pour se confier, tout en se croisant et sans rien dire, leurs désirs ou leurs peines. Ce langage des yeux que la jeunesse parle par instinct et que, dit-on, la vieillesse oublie, est le même dans tout l’univers. Vers huit heures du soir, en été, on le parle depuis Pékin jusqu’à Rome : à Smyrne dans la rue des Roses, à Constantinople au Petit-Champ, au Prado de Madrid, sur les glacis à Vienne, à Paris aux Champs-Élysées, à Naples à la Chiaja, à la Marine à Palerme ; mais certes en aucun lieu sur terre il n’est aussi expressif, aussi provoquant qu’à la Floriane. Les façons d’agir des Maltaises dans leur intérieur ne démentent pas, dit-on, l’espoir que peut donner au passant leur encourageante allure. Les mœurs sont voluptueuses dans la ville, et les intrigues faciles ne rencontrent d’autre obstacle que la jalousie orientale des maris. Il est triste à dire, mais il faut dire et l’on doit croire que les habitudes des chevaliers n’ont pas peu contribué à maintenir ces mœurs amoureuses que conseillaient aux habitans la tiédeur du climat et la piquante beauté des femmes.

Dans les premiers temps, ils prenaient pour cacher leurs désordres des précautions minutieuses et curieuses ; sur la fin, ils ne se gênaient guère, s’il faut en croire les écrivains de l’époque. Dans une lettre fort amusante, un voyageur anglais, Brydone, raconte que, se trouvant à Malte en 1770, il vit partir le 5 juin une escadre qui