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ces champs artificiels de la violence des vents en même temps qu’ils les préservent des inondations fréquentes. Au bout de l’année, ils labourent leur terre à l’aide d’une petite charrue digne des temps primitifs, quelquefois attelée de deux bœufs, le plus souvent de deux ânes. S’il faut en croire M. Miège, onze ares de la première qualité de cette terre se vendent à Malte 1,100 fr., et s’afferment 35 fr. par année. Dans les plus riches campagnes de la Normandie, cette même quantité de terre vaudrait 400 francs environ, et s’affermerait 10 ou 12 fr. à peine. On y cultive avec succès le coton, le blé, les légumes, surtout les melons, qui sont excellens à Malte. L’île nourrit à peu près la moitié de la population, qui ne s’élève pas à moins de 114,000 habitans, tous catholiques romains, sauf 360 juifs et quelques Turcs. Les Anglais, que je ne compte pas, sont à Malte dans la proportion de 1 à 25. L’île, quoique toute blanche au premier coup d’œil, n’est pourtant pas entièrement dépourvue d’arbres. Des figuiers, des citronniers, des grenadiers, s’élèvent çà et là à demi cachés derrière les murs des enclos ; il ne faut pas oublier non plus ces arbres célèbres qui portent ces oranges sanguines nommées oranges de Malte, qu’on dit être le fruit du grenadier greffé sur l’oranger, ni ces arbustes qui produisent ces petites oranges bien autrement exquises qu’on appelle des mandarines. Au reste, les orangers, pas plus que la terre, ne suffisent aux besoins de la population, et c’est par une étrange erreur que nous nous figurons manger quelquefois en France des oranges de Malte. Loin d’avoir des fruits à exporter, les habitans de l’île sont obligés d’aller faire leur provision en Sicile, dont les champs fournissent à Malte depuis des siècles les denrées alimentaires qui lui manquent. Entre ces deux îles, dont l’une est si riante, et l’autre si aride, la navigation a établi comme un pont de bateaux chargé de verdure et de fleurs. C’est chose gracieuse à voir que ces speronari qui entrent chaque matin dans le port, remplis de roses siciliennes, de fruits de Catane et de quartiers de neige de l’Etna, que les cafetiers, pour le plaisir des belles Maltaises, métamorphosent le soir en glaces parfumées. Sans la Sicile, l’existence des Maltais serait misérable, remplie de privations, et ils n’oseraient probablement pas nommer, comme ils le font, leur pauvre île la Fleur du Monde (Fiore del Mondo). Cette affectueuse et prétentieuse dénomination confirme une observation faite bien souvent ; il est difficile à expliquer, mais il est positif que plus un pays est pauvre, plus il est aimé de ses habitans ; à l’appui de cette assertion, je pourrais, s’il en était besoin, citer cent exemples que m’offriraient les régions les plus abruptes des montagnes