Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas un arbre ne se montre, pas une nuance printanière n’anime ce tableau sec et régulier comme une épure. Entre le bleu du ciel et le bleu des flots, on ne voit que des maisons étincelantes de blancheur, et de loin en loin de grandes lignes noires, ombres projetées de quelques pans de murailles. Après avoir passé sous de formidables batteries, lorsqu’on entre enfin dans le port, qui semble le bassin intérieur de cette grande citadelle, on se trouve inopinément sous le feu d’une douzaine de vaisseaux à trois ponts qui sont là gravement à l’ancre. Une grande surprise vous attend. A peine vous avez ressenti, en regardant ce qui vous entoure, une première impression sérieuse, inattendue et désagréable sous ce beau ciel, que la décoration change, comme au coup de sifflet d’un machiniste ; la citadelle, les appareils de guerre disparaissent, et vous êtes convié à une joûte nautique. En effet, à la vue du paquebot qui vous amène, des centaines de barques aux formes élégantes, aux éclatantes couleurs, conduites par des rameurs vêtus de vestes blanches et de ceintures rouges, quittent les quais de toutes parts, se défient à la course, et arrivent autour de vous en volant sur les flots. C’est bientôt un vacarme dont rien ne peut donner l’idée. Ces bateliers à la figure basanée, aux yeux arabes, aux dents aiguës, poussent les cris les plus étranges, se disputent en une langue vive et gutturale, accostent de tous côtés, malgré les coups de corde qui ne sont pas épargnés, et, au mépris de l’ordre et de la gravité britanniques, ils vous enlèvent malgré vous avec vos bagages et vous transportent à terre. Les quais sont étroits, et pour monter à la ville, qui s’étage au-dessus de votre tête, il faut passer sous une quantité de guichets pavés et voûtés, traverser des ponts-levis, et monter par un soleil cuisant de grands escaliers de pierre où l’on rencontre à chaque marche un factionnaire anglais, long, maigre, blond, raide dans son habit rouge, ou bien un beau highlander aux jambes nues, qui se promène gravement l’arme au bras et la claymore au côté. Vous êtes encore une fois dans la place de guerre morne et sombre, et arrivé sur la plate-forme, vous vous trouvez de nouveau dans une rue pleine d’animation, de mouvement et de joie. Rien n’est original comme le spectacle qui s’offre à vous. Dans tout ce qui vous entoure, vous apercevez le plus singulier mélange de luxe anglais et de misère italienne, de flegme britannique et de vivacité méridionale. La rue est large, droite, régulière ; les maisons sont toutes de même hauteur, de même couleur ; de jolies boutiques s’ouvrent de part et d’autre ; la voie est encombrée de monde. Dans cette foule, la Maltaise, avec sa mantille noire pleine de désinvolture, ses yeux ardens, ses cheveux