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réduire la compagnie des Indes à n’être plus qu’une simple société de commerce et d’attribuer à l’état ou plutôt au parlement l’espèce de souveraineté qu’elle avait jusqu’alors exercée.

L’exposé de ce plan vaste, hardi, savamment élaboré, et dont les détails attestaient une étude approfondie de la question, remua vivement les esprits. Les amis de Fox manifestèrent l’admiration la plus enthousiaste pour le courage avec lequel il entreprenait une réforme aussi gigantesque ; ses adversaires se montrèrent indignés et presque consternés de ce qu’ils appelaient un plan de spoliation et de tyrannie. Dans la discussion qui s’engagea, les défenseurs du projet soutinrent que le système existant était tellement vicieux et si étroitement lié, dans son principe, aux abus monstrueux dont personne n’osait prendre la défense, qu’il était impossible de les détruire sans le frapper. La compagnie étant évidemment incapable de gouverner l’Indostan et s’étant vu forcée de recourir à l’appui extraordinaire du parlement, pour la tirer des embarras financiers dans lesquels elle s’était laissé entraîner, ils en conclurent qu’elle n’avait pas le droit de se prévaloir de ses privilèges contre les remèdes jugés nécessaires à l’effet de prévenir le retour de pareilles nécessités. Fox s’écria, dans une de ces inspirations généreuses devant lesquelles s’évanouissent toutes les arguties des intérêts privés, que la compagnie ne pouvait, en aucun cas, dans aucun système, s’attribuer sur l’Inde un droit plus sacré que n’avait été le droit de Jacques II à la couronne d’Angleterre ; l’un et l’autre avaient pour unique base le bien du pays, et, si Jacques II avait été justement dépouillé de son droit le jour où on avait reconnu que le bien du pays l’exigeait, la compagnie ne pouvait prétendre pour son compte à une plus complète inviolabilité.

Du côté de l’opposition, on ne contestait pas la réalité de’ très graves abus et la nécessité de les attaquer sérieusement, mais on niait qu’il fallût pour cela abolir toutes les chartes et tous les privilèges sur lesquels reposait l’existence de la compagnie. Un des grands argumens mis en avant par les amis du ministère était l’influence dangereuse et corruptrice qu’un vaste patronage et la libre disposition de tant de richesses assuraient à la compagnie. Pitt s’efforça de prouver que transférer cette influence au gouvernement comme on le proposait, ce serait en augmenter le danger. Il insista fortement sur l’énorme puissance dont serait investi le ministère, disposant absolument, par les commissaires qu’il aurait désignés, de tant d’emplois lucratifs. Il adjura la chambre, avec une singulière véhémence, de repousser une des plus audacieuses tentatives de tyrannie et de despotisme