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mois s’écoulèrent, et la session se termina sans que l’existence du cabinet fût signalée par aucun acte remarquable.

Tandis que les hommes de la coalition se discréditaient ainsi par l’impossibilité où ils se trouvaient de profiter de leur victoire, Pitt, au contraire, prenait une attitude qui devait le fortifier de plus en plus et le mûrir en quelque sorte pour le gouvernement. Rentrant sans bruit, sans humeur, sans ressentiment apparent, sans aucune démonstration qui pût le compromettre, soit envers le roi, soit envers les partis, dans les rangs des simples députés, ce n’était point par une opposition systématique qu’il travaillait à se populariser, mais bien en provoquant des réformes utiles et pratiques. Il proposa et fit adopter, malgré le ministère, un projet de réductions économiques dans l’organisation de la trésorerie, projet qui alla échouer ensuite à la chambre des lords ; il fit voter une adresse pour demander des mesures efficaces à l’effet de recouvrer des sommes très considérables dues au trésor par des individus qui les détenaient à divers titres, et pour établir un mode de comptabilité propre à prévenir de telles dilapidations.

Le 7 mai 1783, jour anniversaire de celui où, l’année précédente, il avait soulevé la grande question de la réforme parlementaire, il présenta à la chambre le projet de trois résolutions qui devaient, dans sa pensée, être la base d’une loi complète sur cette matière. Par la première, on aurait déclaré qu’il était absolument nécessaire d’empêcher les dépenses excessives et la vénalité des élections. Par la seconde, il aurait été décidé qu’un bourg serait privé de la franchise électorale lorsqu’il serait constaté que la majorité des électeurs avait vendu ses suffrages, la minorité non corrompue devant alors être admise à prendre part aux élections du comté. La troisième enfin, pour balancer l’influence des bourgs, eût attribué cent députés de plus aux comtés et à la ville de Londres. Dans le développement de ce système, Pitt expliqua la manière dont il comprenait la position et les devoirs des membres de la chambre des communes. Il déclara qu’il ne fallait pas voir seulement en eux les représentans de leurs électeurs, mais ceux du peuple tout entier. Il repoussa les théories absolues de certains esprits qui voulaient dés-lors frapper d’illégalité et de nullité le régime auquel l’Angleterre devait sa gloire et sa puissance. Il écarta comme une conception insensée l’idée du suffrage universel, et avoua même qu’il verrait de graves inconvéniens à la suppression totale des bourgs pourris. Ses doctrines n’étaient déjà plus complètement ce qu’elles