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ministre dont on avait si durement condamné la politique. Le ministère essaya alors de se rapprocher de Fox. De ce côté, les obstacles étaient d’une autre nature, mais non pas moins puissans. Il s’agissait de concilier des amours-propres et des ambitions incompatibles. Une entrevue eut lieu entre le jeune chancelier de l’échiquier et le chef de l’opposition. Fox annonça de prime abord qu’il n’entrerait dans aucun cabinet dont lord Shelburne continuerait à être le chef. Pitt répondit que dès-lors il était inutile de poursuivre la négociation, parce qu’il était bien décidé à ne pas abandonner lord Shelhurne. On se sépara ; désormais les deux rivaux ne devaient plus se revoir qu’à la chambre des communes.

Quelques mois après, lorsque le parlement se réunit, le 21 janvier 1783, le plus véhément des orateurs de l’opposition, Burke, dirigea contre le discours du trône une attaque injurieuse que Pitt repoussa avec beaucoup de vivacité et d’éloquence. Cet incident n’eut pas d’autre suite, et le vote de l’adresse ne donna pas même lieu à une division. L’opposition n’était évidemment pas en mesure de tenter une agression décisive. Elle perdit patience. Fox, dominé par l’impétuosité de Burke, commit la faute que Pitt venait d’éviter avec tant d’intelligence. Il se laissa entraîner à une alliance avec l’homme que pendant dix ans il avait voué à l’exécration de l’Angleterre, dont naguère encore il demandait la tête, et la fameuse coalition, négociée au nom des whigs par lord John Cavendish, au nom des amis de lord North par Eden, depuis lord Auckland, fut conclue avec une facilité, avec une rapidité vraiment inexplicables.

Toute coalition de partis n’est sans doute pas également répréhensible. Que deux partis séparés par des nuances secondaires s’unissent contre un troisième fondé sur des principes absolument différens et qui a pris tout à coup un ascendant menaçant pour l’un et pour l’autre, une telle alliance n’est pas seulement naturelle et légitime, c’est l’accomplissement d’un devoir rigoureux. Que même deux opinions extrêmes et opposées se rapprochent momentanément sur une question étrangère à leurs luttes habituelles pour empêcher une solution qu’elles s’accordent à regarder comme dangereuse, cela se comprend encore, bien que, dans ce cas, la ligne du devoir soit moins nettement tracée, et qu’il soit plus difficile d’éviter l’abus ; mais l’alliance de Fox et de lord North ne rentrait dans aucune de ces deux hypothèses, ne pouvait se justifier par aucune de ces considérations. Le terrain sur lequel s’opéra leur rapprochement était tel en effet, que pour y combattre à côté l’un de l’autre il fallait que l’un des deux,