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Son esprit conciliant et la vénération qu’il inspirait étant les seuls liens qui eussent uni jusqu’alors les élémens peu homogènes du cabinet, sa mort en amena la dissolution. Le roi, fidèle à ses préférences, désigna lord Shelburne pour succéder au marquis de Rockingham. Fox, cédant moins encore peut-être à ses propres susceptibilités qu’aux préventions et à l’humeur intraitable de Burke, refusa de subir la suprématie de lord Shelburne, et proposa à sa place le duc de Portland, vice-roi d’Irlande. N’ayant pu le faire accepter, il donna sa démission et entraîna dans sa retraite lord John Cavendish, le duc de Portland, Burke, Sheridan, tous ceux en un mot qui avaient composé dans le gouvernement le parti du marquis de Rockingham, à l’exception du duc de Richmond, qui, par l’effet d’un mécontentement personnel, se sépara de ses amis et consentit à rester au pouvoir avec lord Shelburne. Le général Conway, l’amiral lord Keppel, le chancelier lord Thurlow, gardèrent aussi leurs emplois.

Ce mouvement ouvrit à Pitt l’entrée du cabinet, dont le nouveau chef avait été l’ami et le disciple de son père. A peine âgé de vingt-trois ans, il fut nommé chancelier de l’échiquier. Les deux secrétaireries d’état furent conférées à lord Grantham et à Thomas Townshend, la trésorerie de la marine à Dundas, naguère lord-avocat d’Écosse sous lord North ; l’emploi lucratif de payeur-général fut donné au colonel Barré ; enfin la vice-royauté et le secrétariat d’Irlande échurent à lord Temple et à son frère William Grenville, cousins-germains de Pitt. Fox déclara formellement, dans la chambre des communes, que ce qui l’avait déterminé à se retirer, c’était la préférence accordée à lord Shelburne sur le duc de Portland. Pitt, dans une réponse énergique, lui reprocha de sacrifier les intérêts du pays et du gouvernement à des considérations personnelles et à des susceptibilités d’amour-propre ; il le blâma de pratiquer si mal la maxime qu’il avait toujours professée, celle qui prescrit d’avoir en vue les actes et non les hommes ; il l’accusa de sacrifier les principes à son ambition, et d’être disposé à se constituer l’ennemi de tout cabinet qu’il ne lui serait pas donné de diriger à son gré.

La clôture de la session vint bientôt suspendre les hostilités si vivement engagées. Le ministère, qui se sentait faible, essaya de mettre à profit cet intervalle de repos pour se fortifier. La pensée d’une alliance avec lord North, qui avait conservé dans la chambre des communes des adhérens assez nombreux, fut mise en avant ; mais Pitt la rejeta d’une manière péremptoire, comprenant à merveille qu’il ne pouvait y avoir que honte et dommages dans une coalition avec l’ancien