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Des applaudissemens partirent de tous les côtés de la chambre. Fox, dans son enthousiasme, s’écria qu’il ne regrettait plus la perte de lord Chatham, puisqu’il le voyait revivre dans son fils avec toutes ses vertus et tout son génie. Un des membres de l’administration, le lord-avocat d’Écosse, Henri Dundas, qui devait être plus tard l’un des plus constans alliés de Pitt, se chargea de lui répondre. Préludant en quelque sorte, dans cette réfutation même, aux rapports qui devaient bientôt s’établir entre eux, il félicita prophétiquement l’Angleterre des immenses services que lui rendrait un jour le jeune orateur en qui l’on voyait réunis, par un si merveilleux mélange, des talens de premier ordre, une éloquence si persuasive et une si haute intégrité. Une lettre de Wilberforce, écrite à la même époque, exprime une prévision non moins précise et non moins surprenante. « Pitt, y est-il dit, commence comme son père, en orateur accompli, et je ne doute pas qu’un jour ou l’autre je ne voie en lui le premier homme de notre pays. »

C’est, en effet, un trait de ressemblance entre lord Chatham et son fils, qu’au témoignage unanime de leurs contemporains, ils aient manifesté, dès leurs premiers discours, toute la puissance des facultés qui devaient les porter si haut. Pitt n’avait ni l’élévation philosophique et les larges vues de Burke, ni la chaleur sympathique et passionnée de Fox. Ses qualités étaient d’une autre nature. Il excellait à ordonner l’arrangement d’un discours, à exposer clairement les détails des questions les plus compliquées ou les plus spéciales. Dialecticien vigoureux, il était merveilleusement habile à fortifier les argumens par la manière dont il les enchaînait et par l’abondance des faits auxquels il les mêlait. Nul n’a jamais mieux su se préserver de ces entraînemens de parole qui compromettent trop souvent les hommes d’état il s’arrêtait toujours à temps devant les points trop délicats, et cependant, dans la juste confiance de sa force, il évitait de paraître les fuir ; il s’avançait sans hésitation et sans embarras jusqu’à la limite qu’il n’eût pu dépasser sans péril, et, s’il la tournait au lieu de la franchir, c’était avec tant d’aisance et de naturel, que même, lorsqu’il croyait devoir éluder toute explication sérieuse, il semblait parler avec un entier abandon. Il possédait, à un degré qu’aucun autre orateur n’a peut-être jamais atteint, le don du sarcasme vif, concis, perçant, dédaigneux. Son langage, quelquefois magnifique, avait toujours une dignité, une propriété, une correction harmonieuse et facile, qui ne lui faisaient pas défaut dans l’improvisation la moins préparée. La noblesse simple et grave de son maintien et de son débit en augmentait