Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/208

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les désordres de sa vie privée, un caractère ouvert, franc et affectueux, une ardente sympathie pour toutes les théories généreuses et libérales, une éloquence entraînante, chaleureuse et habile à remuer, les cœurs autant qu’à séduire les esprits, l’appelaient, bien plus que son illustre ami, à diriger l’opposition. Les relations et la fortune de sa famille étaient d’ailleurs, dans ce pays d’aristocratie, un avantage dont rien, à cette époque, pas même le génie de Burke, ne pouvait complètement tenir lieu.

Les élections, sans donner encore la majorité à cette redoutable opposition, lui avaient amené d’importans auxiliaires : on comptait parmi eux Sheridan, déjà célèbre comme poète dramatique ; Windham, Erskine, Wilberforce, William Grenville, fils de George Grenville et cousin germain de Pitt, Pitt enfin, qui allait commencer, en attaquant le pouvoir, une existence destinée à s’identifier si promptement avec le pouvoir même.

Les circonstances dans lesquelles s’ouvrait la carrière de Pitt offraient une analogie marquée avec celles qui avaient entouré les débuts de lord Chatham. On peut cependant y signaler une grande différence. Lord Chatham, homme nouveau, avait à se frayer sa route lorsqu’il entra dans la chambre des communes ; rien n’appelait sur lui l’attention ; il n’avait à répondre que de lui-même, et, s’il n’eût été doué que d’un esprit médiocre, il se fût perdu dans la foule sans que personne songeât à s’en étonner. Son fils, tout brillant de l’auréole de la gloire paternelle, exposé dès son enfance à tous les regards, l’objet des vœux et des espérances de sa famille et de son parti, était nécessairement réservé, ou à d’éclatans succès, ou à une chute humiliante : ne pas s’élever au premier rang, é’eût été pour lui un échec accablant.

L’anxiété que ses amis devaient éprouver ne fut pas de longue durée. Élu le 25 janvier 1781, ce fut le 26 février qu’il parla pour la première fois. On a conservé avec un religieux souvenir les détails de cette séance. On discutait la fameuse motion de Burke sur les réformes et les économies à opérer dans les dépenses de la liste civile. Lord Nugent la combattait. Un des membres de l’opposition, sachant que Pitt était disposé à la soutenir, l’engagea à réfuter l’orateur ministériel. Pitt se montra d’abord indécis, et finit par se décider à garder le silence ; mais, sur ces entrefaites, lord Nugent ayant cessé de parler, plusieurs députés, qui se méprenaient sur les intentions de leur nouveau collègue, demandèrent pour lui la parole. Aux acclamations qui s’élevèrent aussitôt, aux regards dirigés vers lui de tous les côtés de la salle, il