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celui de ses jeunes émules avec qui il se lia de l’amitié la plus intime et la plus durable, nous a laissé, dans ses mémoires, quelques détails intéressans sur cette courte période de la vie de Pitt. Il nous le montre, encore étranger à la politique active qui allait bientôt l’absorber pour toujours, se livrant parfois, avec la vivacité de son âge, aux saillies originales d’une gaieté pleine de verve et d’entraînement, qui faisait les délices de ce petit cercle. Dans d’autres instans, surtout lorsque quelque étranger était présent, on le trouvait froid et réservé. On remarquait aussi qu’alors même qu’il paraissait le plus animé, jamais il ne lui échappait une idée, un mot que la prudence pût désavouer. Un moment, le goût du jeu sembla s’emparer de lui ; mais, dès qu’il s’aperçut que ce goût menaçait de le dominer, il y renonça entièrement.

Pitt venait d’accomplir sa vingt-unième année, lorsque la dissolution de la chambre des communes le surprit, en 1780, au milieu de ces études et de ces amusemens. Il se porta candidat à Cambridge, où il échoua ; mais peu de mois après, le 25 janvier 1781, le bourg d’Appleby le choisit pour son représentant : il dut sa nomination à l’influence de sir James Lowther, un des chefs de l’opposition et propriétaire de ce bourg.

La situation générale du pays était alors d’une extrême gravité. L’Angleterre, sans alliés, soutenait depuis six ans contre ses colonies d’Amérique, auxquelles la France, l’Espagne et la Hollande s’étaient unies successivement, une lutte devenue trop inégale. Son ancienne supériorité maritime était plus que balancée par les forces des coalisés, qui lui avaient déjà enlevé plusieurs de ses possessions éloignées. La neutralité armée des puissances du Nord venait de déclarer l’abolition des principes auxquels la Grande-Bretagne avait dû l’empire des mers. L’Irlande était en proie à une agitation et à des manifestations extraordinaires qui semblaient annoncer aussi pour cette île l’ère d’une prochaine indépendance. En Angleterre même, l’opinion publique, après avoir long-temps soutenu George III dans son opiniâtre résistance aux vœux des Américains, commençait à déserter une politique condamnée par tant de désastres. Le ministère de lord North, qui s’en était rendu l’instrument docile, était frappé d’impopularité. On l’accusait de servilité envers le roi. Déjà, dans le dernier parlement, il n’avait pu empêcher la chambre des communes de proclamer, par une résolution formelle, l’urgente nécessité d’opposer une barrière aux empiétemens croissans de la prérogative royale. Grace à quelques incidens qui avaient opéré une diversion momentanée, le ministère avait obtenu la majorité dans