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le sésame, qui est aujourd’hui de 2 fr. 50 par 100 kil., mais en même temps de graves motifs veulent aussi que l’on conserve cet élément de notre richesse méridionale, et qu’on ne le sacrifie pas à des exigences aveugles. Quinze à vingt mille kilogrammes de sésame arrivent annuellement dans le port de Marseille. C’est un mouvement de 20,000 tonneaux pour la navigation française du Levant. C’est un puissant moyen de concurrence dans une mer où nous avons de grands intérêts à soutenir ; le sésame, comme élément de puissance maritime, a donc une importance qui domine la question. Sa valeur industrielle n’est pas d’ailleurs à dédaigner. Si les producteurs du nord invoquent la protection de la loi, les savonneries et les huileries de Marseille méritent bien aussi qu’on les défende. Une autre considération se présente en faveur du sésame, c’est que rien ne peut s’opposer à ses progrès. En supposant qu’on le chasse de Marseille, il ira ailleurs, et fera concurrence à nos produits sur les marchés étrangers.

Des réflexions qui précèdent, on doit conclure que le parti à prendre, dans la question des graines oléagineuses, est de consulter l’intérêt général du pays, et non les turbulentes clameurs de l’intérêt privé. La loi admet la concurrence ; elle n’est pas tenue de guérir les maux que la concurrence entraîne nécessairement à sa suite. Tout ce qu’elle peut faire, c’est d’empêcher les révolutions brusques, les secousses trop fortes, et d’imposer aux excès de la liberté industrielle certaines limites. Tel est le principe qui a dicté le projet du gouvernement. En élevant de 3 francs le droit sur le sésame importé par nos navires, le ministère a pensé que ce produit serait suffisamment contenu pour ne pas jeter de graves perturbations sur le marché, et que, d’un autre côté, le chiffre de l’importation se maintiendrait au taux réclamé par l’intérêt de notre marine. La commission a été du même avis.

Cette fois, le ministère se trouvait donc dans une excellente situation. Il soutenait une thèse juste ; il avait pour lui l’intérêt politique du pays, il était d’accord avec une commission qui a refusé de le suivre sur tant d’autres points. Contre lui s’élevait la ligue des intérêts froissés, ligue puissante, mais que l’on pouvait vaincre à l’aide du bon droit et de la raison, soutenus par un peu de courage. Et cependant, de tous les membres du cabinet, M. le ministre du commerce est le seul qui ait accepté la lutte. Tous ses collègues ont fui le combat, ou plutôt, n’osant ni fuir ni combattre, toujours incertains, craignant de trouver la majorité contre eux, quelle que fût leur opinion, ils ont montré une attitude indécise qui a redoublé l’énergie des adversaires du projet de loi, et la bonne cause a succombé parce que ses partisans n’ont pas osé prendre sa défense. Faut-il rappeler ici des faits que tout le monde sait ? l’amendement de M. Darblay discuté en conseil des ministres et adopté par la majorité ; le gouvernement passant d’un principe à un autre ; la démission de M. Cunin-Gridaine remise entre les mains du roi ; la transaction intervenue sur l’amendement de M. Garnier-Pagès ; M. le ministre du commerce abandonné par ses collègues, et se levant seul contre l’amendement de M. Darblay, tandis que M. le garde-des-sceaux, préférant les intérêts de son clocher à la dignité du ministère et à l’intérêt général, se levait pour l’amendement !