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droite ont reçu la mission de récriminer contre le scrutin secret, et de lui imputer les échecs du pouvoir. A les entendre, le vote public était le salut du ministère ; le scrutin secret était le foyer des intrigues et des lâchetés de l’opposition. D’un autre côté pourtant, la masse du parti ministériel avait reçu le mot d’ordre pour protéger le scrutin secret. M. de Salvandy montait à la tribune pour le défendre avec une chaleureuse conviction. Enfin, quand la décision de la chambre a été votée par assis et levé, qu’a-t-on vu ? Une liste a couru aussitôt sur les bancs ministériels pour réclamer le scrutin secret, liste malheureuse qui, n’ayant pu trouver vingt membres pour la remplir, s’est arrêtée en chemin au milieu des huées de la chambre. Ainsi le ministère avait formé le projet de tuer clandestinement le vote public au moyen du scrutin secret, et de sauver ce dernier en l’appelant à se défendre lui-même. Ce plan, s’il eût réussi, eût donné lieu à un nouveau scandale parlementaire que le hasard ou la volonté bien arrêtée de la chambre a heureusement empêché. Le vote public a triomphé malgré l’opposition cachée du cabinet.

N’oublions pas l’attitude de l’honorable M. Dupin dans cette discussion. Ses paroles, pleines de sens, ont entraîné la majorité. M. Dupin ne veut pas qu’on oublie son rôle de conservateur dissident. Il a lancé contre le cabinet et contre ses imprudens amis plusieurs saillies que la presse ministérielle a trouvées d’un goût détestable. Cette critique est un éloge pour M. Dupin. Elle prouve que ses sarcasmes vont droit à leur adresse. Que M. Dupin soit tranquille : le jour où il aura fait un compliment à M. Guizot, les feuilles ministérielles diront de lui qu’il a retrouvé toute la vivacité et toute la verve de son esprit. Elles applaudiront alors à ses bons mots. Chacun remarque, du reste, que l’honorable député de la Nièvre se multiplie en ce moment. A la chambre, il défend les intérêts conservateurs, que compromet la situation du pouvoir. Magistrat, il défend les intérêts de la société contre mm préjugé barbare, auquel il oppose le frein de la loi. Écrivain plein de vigueur, jurisconsulte éminent, il défend les libertés de l’église gallicane contre les prétentions d’un clergé ambitieux et rebelle ; il dévoile les intrigues ultramontaines ; il réfute, avec un respect sincère pour la religion et ses ministres, les censures infligées à ses écrits par un zèle aveugle ou hypocrite. Aux mandemens que les évêques rédigent contre les lois de l’état, il répond par l’éloge de Portalis. Sa plume est infatigable, comme sa parole. C’est un beau moment de la vie publique de M. Dupin. On ne peut mettre au service de son pays plus d’énergie, de savoir et de dévouement.

Revenons au ministère. Après la discussion sur le vote public et le scrutin secret est arrivée la loi des douanes. On n’attend pas de nous que nous examinions ici toutes les questions soulevées par le projet du gouvernement, le sujet est trop vaste. Nous devons nous borner aux faits principaux. Trois points ont attiré particulièrement l’attention de la chambre : le traité belge, les graines oléagineuses et le traité sarde. Quel a été le rôle du ministère et celui de la chambre dans ces trois questions ?

On connaît les circonstances qui ont donné lieu à la convention du 16 juillet 1842 passée avec la Belgique. Notre industrie linière, accablée par la concurrence