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L’affinité des langues est un lien de plus ; le français, l’italien et l’espagnol constituent un même idiome, modifié par les caractères respectifs des trois nations. Il résulte de ces traits de ressemblance, au physique comme au moral, une véritable sympathie. Les guerres entre la France et l’Espagne se sont toujours établies sur des points d’honneur, jamais sur des questions d’intérêts ; pour les nations qui constituent le groupe latin, l’intérêt, c’est de s’unir. Si nos guerres de l’empire ont rencontré dans la péninsule ibérique une vive résistance, c’est qu’elles venaient détruire ou bouleverser les institutions du pays. L’Italie nous a toujours tendu les bras dans ses momens de détresse ; depuis Charles VIII et François Ier, notre intervention a été regardée, au-delà des Alpes, comme un moyen de délivrance. Une des causes de la grandeur de Napoléon fut d’avoir réuni dans sa personne et dans son origine les caractères de ces trois peuples. La Corse est, en effet, le terrain d’assimilation de la race celtique, ibérienne et néo-latine. Aussi, toutes les fois que Bonaparte a tourné son épée vers son berceau, il a constamment été heureux. Les destinées de l’empereur et celles de la France étaient du côté du soleil.

Le chemin de nos conquêtes dans le passé doit nous tracer celui de notre influence dans l’avenir. A Dieu ne plaise que nous conseillions de restreindre le réseau de nos communications avec l’Allemagne et avec l’Angleterre ; mais nous croyons que les lignes de fer destinées à asseoir notre alliance morale, industrielle et commerciale, sur l’Espagne et l’Italie méritent en quelque sorte la priorité. Or, ce sont précisément celles qui ont été le plus négligées jusqu’ici.

La France est une des nations les plus intéressées dans l’établissement des voies de fer. Sa position centrale lui donne un grand avantage : chemin de transit de l’Angleterre vers l’Afrique, de l’Allemagne et de la Russie vers le Nouveau-Monde, elle ouvre des communications immenses. Son territoire mitoyen, sur lequel le sang des peuples ira se mêlant d’un monde à l’autre, devient comme le sol de l’unité des races. Cette situation géographique est admirable. Les lois, les mœurs, les institutions, s’accommodent toujours chez un peuple à la somme des développemens qui lui est dévolue, et cette somme augmente en raison des forces nouvelles qu’il puise dans l’union avec les autres peuples. Ces emprunts entretiennent la vie des races et la vie des états. Plus les nations se mêlent, plus la richesse du fonds social dans lequel puise la nature pour former les individus se trouve augmentée. Les chemins de fer ouvrent à la supériorité des races qui couvrent notre continent un vaste champ clos d’influences et de conquêtes.