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dresse le colosse slave ; à l’occident, la tête encore cachée dans les forêts du Nouveau-Monde, un autre géant se dessine avec des caractères de teutonisme. Entre la Russie et la république des États-Unis, s’étendent des nations formées, les unes des débris de la race celte, mêlée aux restes de la population romaine, les autres des différentes couches de la migration germanique. L’antagonisme entre les peuples du nord et ceux du midi de notre continent a sa racine dans cette diversité d’origine. Au contraire, une certaine analogie de dispositions morales se manifeste dans les peuples issus de la même souche ou formés à peu près des mêmes élémens. Il est à remarquer, en effet, que la réforme religieuse s’est établie avec une notable rapidité sur toutes les nations d’origine teutonique, l’Allemagne, l’Angleterre, les États-Unis ; tandis qu’elle n’a jamais exercé qu’une action très passagère et très restreinte sur le groupe gallo-romain, c’est-à-dire la France, l’Italie et l’Espagne. Cette même opposition simultanée existe dans les mœurs et les aptitudes des deux groupes. Le Teuton a un courage froid, une force particulière pour lutter avec les obstacles matériels ; il a devancé, dans la confection des chemins de fer, tout le groupe latin ; il a donné au Nouveau-Monde son peuple de défricheurs. Le caractère celto-romain brille au contraire par l’impétuosité du premier choc ; il est toujours à la tête du mouvement quand il s’agit de tirer l’épée ou de renverser des barrières dans le monde moral ; mais une force qui résiste est assurée de le vaincre. Il aime mieux lutter avec les hommes et avec les idées qu’avec la nature, parce qu’il sait que les obstacles du monde matériel ne s’enlèvent pas à la baïonnette. La France est la représentation la plus avancée de ce type brillant ; mais elle a avec l’Espagne et l’Italie des liens intimes qu’il ne faut pas négliger. La main de la nature a gravé sur ces trois nations des traits de famille. Le fonds de leur population est à peu près le même. La race celtique, après avoir inondé les Gaules, s’est étendue sur l’Espagne, où elle a refoulé les Ibères dans le fond de la Péninsule. La moitié de l’Italie était celtique ; tout le monde sait qu’il y avait une Gaule au-delà des Alpes. Cette première couche a été recouverte, mais non effacée, par des invasions successives. La domination romaine a donné son empreinte à ces trois pays ; plus tard, l’invasion germanique a glissé sur eux sans y laisser beaucoup de traces. On peut donc dire que la France, l’Italie et l’Espagne ont un caractère analogue ; nous n’entendons pas dire uniforme. Ces trois zônes de peuples ressemblent à l’arc-en-ciel, dans lequel chaque couleur fondamentale se mêle aux deux autres sans pourtant s’y confondre.