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de ne tenir compte que des lignes à grande continuité, des lignes qu’on peut nommer à juste titre européennes. Nous ne doutons point d’ailleurs que la Russie, l’Espagne, la Turquie d’Europe, ne viennent se rattacher avant peu à ces grands nerfs du mouvement continental. La Russie a tracé déjà son chemin de fer, qui unira Saint-Pétersbourg à Moscou. Le Nouveau-Monde, qui fait, depuis un demi-siècle, partie de l’ancien pour tout ce qui regarde la civilisation et le commerce, se trouve naturellement rallié au système de voies de communications que nous avons esquissé. Il est en effet possible de suivre par l’imagination, d’un continent à l’autre, le parcours majestueux de ces lignes de fer, entre lesquelles l’Océan atlantique se jette, et qu’il divise sans les briser. Ce n’est pas tout, nous voyons commencer sur les rivages de l’Afrique une nouvelle France. Il n’y a plus aujourd’hui de système de colonisation sérieux sans l’emploi de la vapeur ; notre conquête ne prendra racine sur ce sol rebelle et ne le transformera que par la création d’un réseau de fer algérien, destiné à rattacher toute la colonie au centre. Déjà une ligne construite par le travail des nègres relie ensemble les deux principales villes de la Jamaïque, Kingston et Spanish-Town. L’Océanie présente aux colonies anglaises, pour l’exécution de semblables travaux, ses montagnes de fer. On accusera peut-être notre imagination de bâtir d’avance des rail-ways sur des parcours fabuleux ; mais, quand on songe à la figure nouvelle que le système de transport à vapeur a donnée en quelques années au territoire du Nouveau-Monde, surtout dans les états de l’ouest, on ne saurait plus assigner de limites à l’action d’un tel moteur sur la nature et sur les distances.

L’économiste ne doit point séparer les lignes de navigation des chemins de fer ; il convient, en effet, de balancer ces deux systèmes sur notre continent, comme la nature équilibre la circulation et le mouvement dans les êtres organisés. La constitution hydrographique de l’Europe, quoique belle, n’est encore qu’ébauchée. L’Allemagne se préoccupe de rattacher ses fleuves à un système de communications étendu. En Bavière, le roi Louis poursuit l’achèvement du grand canal qui doit joindre le Rhin au Mein, et par conséquent au Danube. C’était la pensée de César et de Charlemagne, ce fut celle de Napoléon. La France n’aurait maintenant qu’à relier par des canaux le Rhône et tous ses fleuves au Rhin pour s’ouvrir le chemin de la mer Noire. L’importance de cette voie navigable est connue : tous les cabinets voient dans l’équilibre à venir de l’Europe une question dont le nœud réside à Constantinople. La France a déjà son canal du Midi,