Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du crédit que dans les inquiétudes des prêteurs sur l’avenir, un obstacle invincible à une grande surélévation du capital, d’autant mieux que la plupart des prêteurs actuels sont d’avance résolus à se défaire de leurs titres dans un terme fort prochain. Admettons une faveur telle, que l’état obtienne, par exemple, pour les 10 millions de rentes qu’il émet, au lieu de 96 ou 98 millions, comme nous le disions tout à l’heure, 104 ou 106 millions en capital. Assurément la différence est grande, et nous croyons l’exagérer plutôt que l’amoindrir. Voilà l’avantage conquis ; voici maintenant les charges. D’abord, si l’état vient un jour à offrir le remboursement à ses prêteurs, pour 104 ou 106 millions qu’il aura reçus, c’est 200 millions qu’il devra rendre ; perte énorme, presque égale au capital emprunté. Ce qui est bien plus grave, c’est que dans cette hypothèse l’état voit reculer indéfiniment l’époque où il pourra songer à réduire sa dette. Vainement l’intérêt de l’argent tombera-t-il par degrés à 9, à 8, à 7, à 6 pour 100 ; toutes ces améliorations successives de l’état du crédit ne lui profiteront pas. Ce taux exorbitant d’intérêt qu’il aura accepté dans les temps de crise, et qui n’était acceptable qu’alors, il le supportera désormais sans retour. Pour qu’il songe à convertir les rentes, il faudra que l’intérêt soit tombé de 10 à 5 pour 100, et même au-dessous. C’est donc seulement lorsque déjà le montant de sa dette devrait être réduit de moitié, qu’il pourra commencer à y faire quelques réductions fort incomplètes.

Cette dernière considération nous ramène au sujet qui nous occupe. On voit donc que, si l’on avait suivi dans les emprunts publics un système logique et vrai, les réductions d’intérêts, ou, ce qui revient au même, les conversions de rentes, seraient devenues, dans notre existence financière, un fait ordinaire, régulier, normal. Combien d’opérations de ce genre n’aurions-nous pas vu s’effectuer depuis trente ans ! Toujours prévues d’avance, elles n’auraient excité ni résistance ni émoi ; l’habitude en aurait fait pour tout le monde un jeu. Loin de nuire à notre crédit, elles en auraient favorisé l’essor, soit en marquant d’un signe pour ainsi dire sensible chacun des degrés de sa marche ascendante, soit en améliorant de plus en plus la situation réelle de nos finances. Enfin ce qui reste à faire aujourd’hui ne serait que la suite et la conséquence d’une longue série de faits du même ordre, et s’accomplirait, comme tout le reste, sans le moindre obstacle.

On a suivi malheureusement une autre marche. Ce qu’il en a coûté à l’état dans le passé, ce qu’il lui en coûte encore, il est impossible de le dire, et nos suppositions de tout à l’heure n’en donnent qu’une