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jours que vous ne connaîtrez pas ; et moi, dont l’existence n’a point de terme, pour qui l’avenir et le présent se confondent, j’aliénerai mon avenir en vue du moment présent ! N’est-il pas vrai que dans ce calcul les justes notions des choses sont renversées et les rôles intervertis ? Il est au moins parfaitement impossible que les rentiers estiment à leur juste valeur les bénéfices incertains, éloignés, qu’on leur promet. Aussi l’état n’obtiendra-t-il jamais, dans une transaction de ce genre, que des concessions’ fort médiocres, en échange de sacrifices considérables.

Quant à l’avantage qu’on fait valoir d’avoir moins souvent à remanier les rentes par de nouvelles conversions ; nous avouons qu’il nous touche peu. Qu’est-ce après tout qu’un travail semblable, quand il est fait à propos et dans ses véritables termes ? Rien, ou presque rien. Une première opération mal conçue, mal entreprise, a d’abord jeté en France quelque discrédit sur le principe en général. Dans la suite, à force de résister à une mesure si juste, à force d’en exagérer la portée, on a fini par persuader à quelques gens, par se persuader peut-être à soi-même, qu’elle est grosse de difficultés et de périls. Il n’en est rien pourtant : une conversion de rentes, naturellement amenée et indiquée par l’élévation du crédit, est de toutes les opérations de finances la plus élémentaire et la plus simple. Pourquoi tant de soins pour en éviter le retour ? Dans un temps comme le nôtre, où le crédit est monté par degrés de l’abîme où il était naguère, à un certain point d’élévation, elle aurait dû être au contraire une opération en quelque sorte régulière et normale, et c’est ce qui serait arrivé inévitablement, forcément, si dès long-temps tout le système de nos emprunts publics n’avait été vicié dans son principe.

Il est arrivé à nos gouvernemens, comme aux particuliers, de connaître de mauvais jours. Leur crédit était alors très bas, l’intérêt de l’argent qu’on leur offrait très élevé, et ce n’est pas aller jusqu’à l’extrême limite de dire que, dans ces circonstances, ils ont quelquefois emprunté à 10 pour 100 et au-delà. Pour procéder avec logique, il eût fallu alors dire ouvertement, franchement, que l’on empruntait à 10 pour 100, et créer un fonds public à ce titre. Outre qu’il y aurait eu dans ce système loyauté et franchise, on y aurait trouvé des avantages prochains. Au lieu de cela, qu’a-t-on fait ? Alors même qu’on empruntait effectivement à 10, c’est par la vente d’un titre en 5 p. 100 que l’emprunt était effectué. On vendait, par exemple, 10 millions de rentes dont on obtenait en capital 100 millions, ce qui établissait très clairement l’intérêt à 10 ; mais ces rentes, on les constituait néanmoins