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rentiers de l’état d’en douter. Dans tous les cas, il n’est donné ni au gouvernement, ni aux rentiers de prévoir l’époque où cet évènement se réalisera. Dès-lors, qu’est-ce que cet accroissement futur et hypothétique du capital ? Dans quelle mesure peut-il compenser une perte sur les intérêts, annuelle et certaine ? sur quelle base enfin établira-t-on sa valeur ?

On voit bien que cette théorie repose, dans son ensemble, sur des données très vagues, très incertaines. Il faut, pour la mettre en pratique, comparer des valeurs fort différentes entre elles, sans posséder les vrais élémens d’appréciation. Quel ne doit pas être l’embarras d’un ministre qui entreprend une conversion selon cette méthode, quand il vient à se demander quelle sera l’étendue des concessions à faire au nom de l’état, et l’étendue des sacrifices à exiger des créanciers ! L’embarras des rentiers, quand il s’agit d’accepter ces offres, doit être encore plus grand, et pour eux, il est sûr que ce n’est qu’après l’évènement qu’ils connaissent à peu près la valeur de ce qu’ils prennent. Il faut donc marcher dans cette voie presque au hasard. Pourtant, si les concessions faites par l’état sont trop grandes, les intérêts publics sont sacrifiés ; dans le cas contraire, des résistances se manifestent, l’opération avorte, et le crédit est compromis. Nulle part il ne serait plus nécessaire de posséder la juste mesure des choses, et cette mesure n’existe point. Nous savons bien qu’il y a un moyen commode d’assurer le succès d’une telle opération, de s’affranchir de ces embarras et de ces doutes : c’est de faire très large la part des créanciers et très petite celle de l’état, et ce moyen, nous savons bien aussi qu’on ne manque jamais d’y recourir ; mais voilà pourquoi, dans un marché de ce genre, l’état est toujours dupe.

On ne voit pas qu’offrir aux créanciers de l’état une augmentation future de capital, en échange d’une perte d’intérêt présente, c’est en quelque sorte déplacer les rôles ; c’est mettre la prévoyance de l’avenir du côté des hommes qui meurent, et ne laisser à l’état, qui doit vivre, que le souci du présent. N’est-ce pas le contraire qui devrait être, et cette seule considération, bien appréciée, ne devrait-elle pas suffire pour faire juger tout le système ? Voyez en effet l’étrange calcul ! Moi, l’état, moi, qui dois durer et prendre possession de l’avenir, je vous hypothèque cet avenir, à vous, simple mortel, qui ne serez plus demain. Je veux que vous m’abandonniez une portion de vos avantages présens, en vue de bénéfices éloignés, dont, selon toute apparence, vos héritiers seuls pourront jouir. Vous dont la vie est bornée, je veux que vous reportiez vos espérances à des