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fardeau. Les enfans sont obligés de suivre la caravane à pied, pour peu qu’ils aient cinq ou six ans. La nourriture qu’on donne aux esclaves pendant le trajet est à peine suffisante pour les soutenir. Arrivés au bord du fleuve, à l’embouchure duquel se tient le négrier, on les entasse au fond de larges canots presque toujours à moitié remplis d’eau, et c’est dans cet état qu’on leur fait descendre la rivière. On calcule que les cinq douzièmes périssent avant d’atteindre les factoreries. Ceux qui survivent sont dans un état de dénûment et de faiblesse que leur séjour dans la factorerie ne peut qu’aggraver. Souvent il arrive à la fin du voyage que les chaînes dont ils sont chargés ont usé la chair jusqu’à l’os, et ces blessures, où la chaleur et la malpropreté entretiennent la corruption, leur causent un intolérable supplice par la quantité de mouches et de moustiques qu’elles attirent. Rien n’égale les souffrances des esclaves que les agens de l’iman de Mascate expédient à Zanzibar et aux marchés portugais de la côte de Mozambique. La traversée se fait sur des bateaux de médiocre grandeur, très larges et non pontés : on étend les esclaves au fond du bateau, les pieds de l’un à la tête de l’autre et le plus serrés possible ; à dix-huit pouces au-dessus, sur une cloison de bambous, on étend d’autres esclaves, et on dispose ainsi de dix-huit pouces en dix-huit pouces une série d’étages jusqu’à ce qu’on atteigne le bord du bateau. Comme on compte sur une traversée de vingt-quatre heures, ou de quarante-huit au plus, on n’embarque de vivres et d’eau que pour l’équipage, et si le vent, un orage, retiennent le navire plus long-temps en route, la suffocation, la soif ou la faim déciment les malheureux ainsi empilés. On cite un de ces navires qui n’atteignit le port que le dixième jour, et, sur quelques centaines d’esclaves, à peine deux ou trois avaient survécu.

A l’embouchure de chacune des rivières que fréquentent les négriers sont établies des factoreries, appelées barracons, et appartenant à des chefs indigènes ou à des trafiquans européens, presque tous portugais ou espagnols. Ce sont ou des représentans des maisons de la Havane et de Rio-Janeiro, pour le compte desquelles ils font des achats, ou bien des commerçans qui achètent des nègres et les revendent au comptant aux négriers. Depuis que les équipages des croiseurs anglais ont détruit un certain nombre de factoreries en 1839 et 1840, les barracons sont construits derrière les villages et dans le voisinage d’un bois, pour donner aux traitans les moyens d’emmener et de cacher les esclaves en cas de descente. Un barracon est un vaste enclos fermé par une double palissade ; à l’intérieur est une forte construction