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même temps que la chambre a exercé dans cette question une influence décisive : c’est tout ce qu’on lui demande. M. le ministre des affaires étrangères s’étonne d’ailleurs qu’on ne le félicite pas sur la promptitude du succès. L’opposition, dit-il, aurait-elle fait marcher les négociations plus vite ? Si l’opposition, répond M. Billault, avait été au pouvoir, elle n’aurait pas signé le traité de 1841. La réplique est péremptoire.

Sur Taïti, autres subterfuges. Ne réveillons pas de vieux incidens, s’écrie M. Guizot. Cela est commode à dire ; malheureusement, si le ministère oublie ces incidens, la France s’en souvient. Ne parlons pas du passé, parlons du présent, dit le ministre ; les principales difficultés sont écartées ; le protectorat français s’établit ; que veut-on de plus ? Mais c’est là justement ce que la France déplore. Ce protectorat que vous cherchez vainement à consolider à travers des conflits sanglans ou burlesques, cette entreprise téméraire que vous avez soutenue d’une main débile, on vous l’a dit cent fois, c’est la pire des combinaisons. C’est une source perpétuelle de difficultés et de périls. Eh bien ! dit M. Guizot, s’il s’élève des difficultés nouvelles, nous les surmonterons comme nous avons fait pour les précédentes. Précieuse garantie pour la France ! Préparons nous donc à de nouveaux désaveux et à de nouvelles indemnités. Voilà ce que M. Guizot nous promet sur Taïti. Pour le Maroc, il n’a pas jugé nécessaire d’en parler.

Il y a long-temps qu’on l’a dit, M. le ministre des affaires étrangères possède à un rare degré l’art de dissimuler de faibles argumens sous de grandes images. Il a les mains pleines de théories, qui cachent sous la gravité de la forme l’insuffisance du fond. M. Billault avait posé des questions bien simples, qu’il eût fallu débattre avec des raisonnemens nets et précis. Or, voyez les motifs que le ministre a invoqués. En Suisse, dit M. Billault, vous n’avez pas été bienveillant ; vous avez pris un langage blessant ; vous n’avez pas respecté l’indépendance d’un peuple ami. M. Guizot répond que le devoir du gouvernement français était de remonter le courage des conservateurs de la Suisse. Voilà pourquoi l’on a été dur et hautain vis-à-vis d’eux. S’il faut en croire M. Guizot, les hommes modérés, en Suisse, n’ont pas l’énergie, la consistance, des hommes modérés de la France ; partout ailleurs qu’en France, la modération est timide ; chez nous seulement, l’esprit conservateur a cette fermeté persévérante qui gagne les batailles politiques ! Ne voilà-t-il pas un singulier argument de circonstance ? Que diront les conservateurs de l’Europe et de la Suisse de se voir ainsi sacrifiés à un mouvement oratoire et au besoin de flatter la majorité ? Et d’ailleurs, tout cela prouve-t-il que les susceptibilités de la Suisse n’ont pas été froissées ? M. Guizot le nie. Il oublie donc la note qu’il a reçue lui-même du ministre de Suisse, et où la diète a protesté contre le langage de notre gouvernement ? Il oublie qu’il s’est condamné lui-même en prenant plus tard vis-à-vis de la diète un ton plus radouci, qui convenait mieux aux sentimens de la France.

On demande à M. le ministre des affaires étrangères pourquoi les chré-