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Trouvent-ils que l’honorable député soit bien amer ? M. Billault, cependant, dit tout ce qu’il veut dire, mais il le dit avec une dextérité rare, il se joue des difficultés avec une souplesse infinie. À chaque discours, le brillant orateur fait un nouveau progrès dans l’esprit de la chambre. Au centre même, bien des gens commencent à l’accepter, qui autrefois ne parlaient de lui qu’avec épouvante ; leurs préventions s’effacent. Ils reconnaissent enfin que l’orateur de l’opposition, vif, chaleureux, entraînant, sait respecter le pouvoir en défendant la chambre, tandis que plus d’un homme d’état du 29 octobre n’a jamais su jusqu’à présent défendre ni l’un ni l’autre. Tout cela n’empêche pas les journaux ministériels de déclamer contre les violences de M. Billault. Ceux qui appellent M. Billault un orateur violent devraient relire les discours prononcés par M. Guizot en 1838 et 1839 : ils verraient lequel des deux a montré le plus de mesure dans l’opposition.

M. Billault a fait deux parts dans la politique du cabinet : d’un côté, les affaires que le parlement a dirigées en imposant sa volonté au ministère ; de l’autre côté, celles que le cabinet a conduites lui-même, en dépit des avertissemens venus des chambres. Les premières ont été heureusement résolues. Ainsi, les conventions de 1831 et 1833 sont abrogées ; le droit de visite est aboli. La négociation, au lieu d’aboutir à une faiblesse ou à une folie, comme le présageait M. Guizot, a réussi. Le ministère, poussé par les chambres, est parvenu à détruire son propre ouvrage. Quant aux affaires dans lesquelles le cabinet a maintenu son initiative, elles ont échoué. Taïti ne nous a donné que des humiliations et des dégoûts. Les agens de l’Angleterre y continuent en ce moment leurs intrigues contre la France. Pomaré tient notre ministère en échec, et le drapeau du protectorat flotte au milieu de complications nouvelles. Au Maroc, Abderrhaman repousse un traité ratifié par la France. En Belgique, en Suisse, l’intérêt de la France a été compromis. En Syrie, notre influence décline. Les Druses, protégés par l’Angleterre, ont le dessus contre les Maronites, que la France devrait protéger et que son gouvernement abandonne. Deux affaires graves commencent : celle du Texas et l’abdication de don Carlos. Dans la question du Texas, l’intérêt de la France est de garder la neutralité. L’Amérique est notre alliée naturelle ; si nous l’abandonnons, si nous sacrifions l’intérêt américain à l’intérêt anglais, quel sera notre appui le jour où une lutte maritime éclatera entre la France et l’Angleterre ? Cependant le cabinet français, au lieu de rester neutre dans la question du Texas, se rapproche visiblement de l’Angleterre. Par un malheureux hasard, l’affaire du Texas et celle du droit de visite ont été traitées simultanément, et l’on a eu des complaisances sur l’une, afin de rendre l’Angleterre plus accommodante sur l’autre. Ainsi va le ministère lorsqu’il est livré à lui seul. Quant à l’affaire d’Espagne, M. Billault se borne à demander que le cabinet suive une conduite décidée et nationale.

Qu’a répondu M. Guizot ? Sur l’affaire du droit de visite, M. Guizot ne veut pas qu’on dise que la chambre a mené le cabinet ; mais il avoue, en