Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1213

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chiffonné de Boufflers, est aussi chez lui un héritage du XVIIIe siècle, un souvenir d’André Chénier et de Diderot ; ajoutez à cela je ne sais quel air de vérité naïve dans le goût des peintures de Greuze, et vous aurez tout le secret des prédilections de M. Houssaye, des influences diverses que son talent a subies. De là un mélange quelquefois agréable, quelquefois malheureux, d’élémens contraires. La Diane chasseresse d’André, avec ses flèches d’or, sa Cybèle aux tresses blondes, toutes ces déesses enfin que le poète avait évoquées de la Grèce, semblent ici un peu étonnées de se rencontrer sur un Parnasse mignon, au milieu de cette mythologie enjolivée dont raffolait Mme de Pompadour. M. Houssaye fait volontiers chanter l’antique moineau de Lesbie dans la cage dorée de Vert-Vert, et il oublie souvent sur les épaules de l’Euterpe attique le petit collet de l’abbé. Lui-même, à un endroit, dit avec grace :

J’ai déposé sur ma fenêtre
Le vase antique où j’ai semé
Des primevères qui vont naître
Aux rayons du soleil de mai.


C’est ce contraste, ce rapprochement des vieilles choses et des choses nouvelles qui choquent quelquefois dans ces vers où l’on respire, du reste, plus d’une douce senteur, et où le frais gazouillement des bouvreuils et des merles arrive avec je ne sais quel arôme de thym et d’aubépine. On y suit volontiers La Fontaine cherchant à travers le serpolet les traces de Jean Lapin, et Voltaire surpris par Émilie la faulx du moissonneur à la main. M. Houssaye réussit à merveille dans les petits tableaux flamands qui ont pour horizon une charmille ou une cour de ferme ; on peut dire, en somme, que sa muse n’est pas sans grace quand elle

Presse la gerbe d’or sur son corset de lin.


Sans doute la nature qu’il peint peut passer plutôt encore pour celle des ateliers que pour celle des champs ; mais pourtant ce cadre à demi agreste, à demi citadin, est celui qui convient à son élégant pinceau. Les grands sujets, les hautes inspirations, ne vont pas aussi bien à M. Houssaye ; sa poésie n’est point de celles où éclatent les cris de la douleur et de la passion : c’est une voix claire et délicate qui s’éraille quand elle veut monter de ton. Cela est sensible, par exemple, dans la pièce intitulée la Mort, qui semble bien pâle, quand on songe aux souverains accens que ce seul mot eût fait vibrer sur la lyre de Lamartine ou de Victor Hugo. En pareil cas, la laque assez brillante qui recouvre la poésie de M. Arsène Houssaye s’écaille et laisse voir un fond terne.

On ne saurait contester sans injustice au jeune écrivain la fraîcheur- du coloris ; mais il est une qualité essentielle qui lui manque, dont il est digne, et que l’application certainement lui donnerait. M. Houssaye n’est pas assez sévère pour lui-même. Dans le style, il ne faut jamais se contenter de l’à peu