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acceptent le rôle d’un L’Angely ou d’un Triboulet. Dans les grandes monarchies, tout roi avait son bouffon. Quant à M. de Cassagnac, trouvant sans doute la tâche trop ingrate, il a sauté des marches inférieures du feuilleton dans le haut du journal, et s’est mis à parler de M. Thiers comme il parlait de Racine. Ce n’est pas tout ; le maître maintenant fait comme le disciple, et la chambre des pairs est pour M. Hugo ce que le premier-Paris est pour M. Granier. Ne pouvant gouverner les lettres, la jeune école cherche à gouverner le monde ; mais ceci sort de notre compétence. Au résumé, voilà où en sont les obstinés du romantisme. En poésie, hélas ! leurs comptes ne sont plus même au pair ; nous leur souhaitons meilleure chance en politique.


M. Arsène Houssaye n’imite point le rimeur des Demi-Teintes ; il ne s’est fait ni le vassal ni le séide d’une école exclusive. En homme d’esprit, il suit sa veine légère d’originalité et cultive son champ - cui pauca relicti jugera ruris erant ; son domaine n’est pas étendu, mais enfin il lui appartient, et c’est quelque chose. Seulement, on pourrait trouver que M. Houssaye, tout aimable représentant qu’il soit de la petite propriété en littérature, aime un peu trop à transporter dans ses parterres certaines plantes exotiques qui ne vivent qu’en serre-chaude et qui le forcent d’avoir recours à des procédés factices. Je veux parler de ces fleurs coquettes et pomponnées de la littérature du XVIIIe siècle, pour lesquelles M. Houssaye a un goût qui d’abord a paru chose piquante, mais qui, se prolongeant trop, tombe dans la manière et dans la recherche. La muse de l’auteur de la Poésie dans les Bois[1] a naturellement de la fraîcheur, de la gentillesse, une certaine négligence aussi qui quelquefois ne messied pas ; c’est une gracieuse paysanne en bavolet, ou plutôt c’est une suivante de Marie-Antoinette coquettement déguisée en laitière de Trianon. Avec la petite branche de muguet qu’une faveur rose attache à son chapeau de paille, avec ses petits airs d’idylle à la Florian, elle eût fait bonne figure dans une esquisse de Watteau. Malheureusement M. Houssaye, à force de refaire chaque matin la toilette de cette muse, a cru la rendre plus agaçante en lui mettant plus de poudre encore et de fard, en l’attifant et en la musquant comme jamais ne l’a été une marquis e des romans de Crébillon ou une bergère des tableaux de Boucher. Sous cette surcharge de mouches et de rouge, la jolie fillette finit par ressembler un peu à un pastel effacé. Tel est le sensible défaut des derniers écrits en prose de M. Houssaye ; ses vers non plus n’en sont pas exempts.

Ce n’est pas que M. Houssaye n’aime point la nature ; il est au contraire attiré sincèrement vers cette sirène toujours jeune qui chante devant nous l’hymne de la création éternellement renouvelée dans la naissance de chaque esprit comme dans l’éclosion de chaque germe. Toutefois, ce sentiment plus vrai et plus franc qui, au premier abord, semble faire contraste avec le faible de l’auteur pour le genre quintessencié de Gentil-Bernard et pour le style

  1. Un vol. in-18, chez Masgana, galerie de l’Odéon.