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il n’eut pas de jeunesse. Il n’eut pas, en quelque sorte, de vie privée. La seule distraction à laquelle il se soit jamais livré dans ses courts momens de loisir, c’est la surveillance des travaux d’embellissement de ses domaines de Walmer et d’Holwood. Il n’aimait pas et ne fréquenta jamais le monde, bien que l’égalité de son humeur et la vivacité de sa conversation semblassent le préparer à y trouver du plaisir et des succès. Il ne fut jamais marié, et on ne lui connut de liaisons intimes avec aucune femme. Il eut des amis, il fut même pour eux affectueux et dévoué, et le souvenir qu’il laissa à quelques-uns d’entre eux, particulièrement à Wilberforce, dont la nature morale était pourtant si différente de la sienne, fait honneur à son cœur. Cependant on peut remarquer, comme une triste conséquence de sa position, que ces amitiés, généralement liées à des relations de partis, s’évanouirent presque toutes au milieu des évènemens qui, vers la fin de sa vie, compliquèrent et modifièrent ses alliances politiques. Jamais homme, d’ailleurs, ne se montra moins accessible aux ressentimens haineux, aux passions vindicatives, et ce trait de caractère lui fait d’autant plus d’honneur qu’il ne s’explique pas en lui, comme chez d’autres personnages politiques, par l’égoïsme et l’insensibilité.

Tel fut l’illustre Pitt ; telle est du moins l’idée que nous nous sommes faite de son ame et de son génie après avoir étudié ses actes et ses discours. Cette idée diffère à beaucoup d’égards de celle qui prévaut généralement en France sur le compte de ce grand homme. Si on a cessé de voir en lui, comme au temps de la convention et de l’empire, l’ennemi implacable et féroce de l’humanité et de la civilisation, on croit faire preuve de modération en se bornant à le signaler comme le principal auteur d’un système de machiavélisme fondé sur deux bases principales, la haine de la France et la plus complète indifférence à toute idée de libéralisme et de progrès. L’exposé que nous venons de faire aura peut-être pour effet de modifier cette sévère appréciation.


L. DE VIEL-CASTEL.