Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une somme de 40,000 livres sterling. Les funérailles, qu’on différa jusqu’au 22 février, et qui furent aussi célébrées aux frais de l’état, eurent beaucoup d’éclat. La foule qui s’y porta était immense, et on y remarquait trois des fils du roi, les ducs d’York, de Cumberland et de Cambridge.

Déjà, en ce moment, le cabinet avait cessé d’exister. Saisi d’une sorte de terreur panique en voyant disparaître son illustre chef, et succombant sous la conscience intime de son insuffisance, il s’était empressé, malgré les supplications du roi, de donner sa démission. George III avait été contraint, malgré ses répugnances, d’appeler Fox et lord Grenville à former une administration nouvelle. On sait que Fox ne survécut que six mois à son grand rival, et que peu de temps après le roi renvoya le cabinet dont il avait été l’ame pour s’entourer de nouveau des disciples de Pitt. En moins d’une année, l’Angleterre avait perdu quatre hommes bien grands à des titres divers : Pitt, Fox, Nelson, et le sage, l’habile Cornwallis, mort au moment où il prenait pour la seconde fois possession du gouvernement de l’Inde.

Ainsi s’éteignit tristement l’existence d’un des plus grands ministres, du plus grand ministre peut-être qui ait jamais présidé aux destinées de l’Angleterre. Sa carrière politique, si longue dans une aussi courte vie, se partage en deux parties bien distinctes. La première, celle qui précéda la guerre contre la France, a depuis long-temps réuni dans une admiration commune les adversaires des opinions de Pitt et ses partisans enthousiastes. Il n’en est pas ainsi de la période qui embrasse la lutte contre la révolution française, objet, encore aujourd’hui, d’appréciations bien diverses. Pendant cette période, Pitt eut à surmonter les difficultés d’une situation toute nouvelle sur laquelle aucune expérience ne pouvait l’éclairer. Il n’était peut-être pas donné à la prévoyance humaine de comprendre par avance la portée et les conséquences des évènemens prodigieux qui commençaient alors à s’accomplir. La sagacité de Pitt, il est impossible de le nier, fut d’abord en défaut. Il n’aperçut pas assez tôt les dangers dont l’état de la France menaçait l’Angleterre et l’Europe, telle qu’elle était alors, telle que l’intérêt anglais voulait qu’elle restât constituée. Lors même qu’il les eût aperçus, il n’en soupçonna pas d’abord toute l’immensité, et il se trompa plus d’une fois sur les moyens de les conjurer. Les premiers temps de cette lutte sont incontestablement la portion la moins brillante de son histoire ; mais il parut plus grand que jamais lorsque les victoires de la France et les revers, le désarmement successif des puissances continentales coalisées contre elle,